...dans la MYTHOLOGIE


Fils et père (Odyssée, chant XVI). Homère

 
[Après vingt ans d’errance, Ulysse retrouve Ithaque. Grâce aux artifices de la déesse Athéna, il prend l’apparence d’un mendiant. C’est ainsi qu’il se présente à son fils Télémaque, avec lequel il échange quelques mots avant de reprendre sa véritable apparence.
Beau démenti à la doxa misandre selon laquelle les hommes (en particulier ceux du passé) ne savent pas exprimer leurs sentiments, et les pères ne savent pas aimer leurs enfants...]
 
 
Fils et père – chant XVI (extrait)
 
Quand Ulysse rentra dans la loge, son fils, plein de trouble et d’effroi, détourna les regards, craignant de voir un dieu, puis, élevant la voix, lui dit ces mots ailés :
Télémaque - Quel changement, mon hôte !… à l’instant, je t’ai vu sous d’autres vêtements ! et sous une autre peau ! Serais-tu l’un des dieux, maîtres des champs et du ciel ?… Du moins, sois-nous propice ; prends en grâce les dons, victime ou vases d’or, que nous voulons t’offrir, et laisse-nous la vie !
Le héros d’endurance, Ulysse le divin, lui fit cette réponse :
Ulysse - Je ne suis pas un dieu ! pourquoi me comparer à l’un des Immortels ?… crois-moi : je suis ton père, celui qui t’a coûté tant de pleurs et d’angoisses et pour qui tu subis les assauts de ces gens !
Il disait et baisait son fils et, de ses joues, tombaient au sol les larmes qu’il avait bravement contenues jusque là.
Mais sans admettre encor que ce fût bien son père, Télémaque à nouveau lui disait en réponse :
Télémaque – Non, tu n’es pas mon père Ulysse ! un dieu m’abuse, afin de redoubler mes pleurs et mes sanglots. Car un simple mortel ne peut trouver en soi le moyen d’opérer de pareils changements : il faut qu’un dieu l’assiste et le fasse, à son gré, ou jeune homme ou vieillard… Tu n’étais à l’instant qu’un vieux, couvert de loques : voici que tu parais semblable à l’un des dieux, maître des champs du ciel !
Ulysse l’avisé lui fit cette réponse :
Ulysse – La rentrée de ton père au logis, Télémaque, ne doit pas exciter ta surprise et ta crainte. Ici tu ne verras jamais un autre Ulysse : c’est moi qui suis ton père ! Après tant de malheurs, après tant d’aventures, si, la vingtième année, je reviens au pays, c’est l’œuvre d’Athéna qui donne le butin. Oui ! c’est elle qui peut, - et vouloir lui suffit, - me montrer tour à tour sous les traits d’un vieux pauvre et sous les beaux habits d’un jeune homme encore : il est facile aux dieux, maîtres des champs du ciel, de couvrir un mortel ou d’éclat ou d’opprobre !
 A ces mots, il reprit sa place et Télémaque, tenant son noble père embrassé, gémissait et répandait des larmes !… il leur prit à tous deux un besoin de sanglots. Ils pleuraient et leurs cris étaient plus déchirants que celui des orfraies, des vautours bien en griffes, auxquels des paysans ont ravi leurs petits avant le premier vol… C’était même pitié que leurs yeux pleins de larmes ! et le soleil couchant eût encor vu leurs pleurs, si le fils n’eût soudain interrogé son père : (…)
 
Homère. L’Odyssée. Folio, 1988, pp. 324-326



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