Le sexe fort n’est pas celui qu’on croit. Susan Pinker (extraits)


 

Susan Pinker. Le sexe fort n’est pas celui qu’on croit. Les arènes , 2009 (au Canada, 2008)

Canadienne, l’auteure est psychologue du développement. Elle remet en cause la théorie du "plafond de verre", et ouvre d’autres pistes pour expliquer les différences dans les parcours professionnels des hommes et des femmes : en moyenne, des priorités différentes, des choix de métiers différents, des positionnements différents par rapport à l’argent et la carrière.

 

p. 118-119

De retour dans mon quartier, nous étions un groupe de mères assises sur l’herbe, regardant nos enfants dégoulinant de sueur courant après un ballon de foot. Plusieurs étaient médecins généralistes. Plutôt que de changer de métier, elles avaient organisé leurs horaires de manière à garder du temps pour leurs enfants et d’autres intérêts, et ne faisaient donc pas des semaines complètes. Sachant que les femmes étaient plus nombreuses que les hommes dans les facultés de médecine et qu’elles obtenaient de meilleures notes qu’eux, comment se faisait-il, leur ai-je demandé, qu’elles choisissent en très grande majorité des spécialités comme la pédiatrie et la médecine générale, moins lucratives que la chirurgie et la radiologie ? En 2005, l’étude du radiologiste canadien Mark Baerlocher et du spécialiste en santé publique Allan Detsky avait montré qu’on ne refusait pas aux femmes, contrairement aux hommes, leur premier choix d’ internat. Les hommes avaient 1,6 fois plus de chances de se voir dire non que les femmes. Or, avec plus de choix que les hommes, pourquoi aller vers des domaines moins payants ? Si ce n’était pas de la discrimination, qu’était-ce donc ?

Ces femmes ont parlé de la satisfaction qu’elles éprouvaient à suivre leurs patients pendant de nombreuses années, ce qui leur permettait de saisir les détails complexes de leur vie. L’une d’elles raconta qu’elle avait été séduite par son stage en chirurgie au début de sa formation. Comme il y avait pénurie de résidents chirurgiens, on l’avait autorisée à à pratiquer elle-même une résection intestinale, sous la supervision d’un chirurgien expérimenté. L’intervention avait été un succès, et elle avait décidé sur-le-champ que la chirurgie et sa montée d’adrénaline étaient pour elle. Le lendemain, en songeant aux huit années d’internat ainsi qu’aux gardes le soir et les week-ends, elle a changé d’avis. "En fait, la médecine générale était un choix de vie", disait cette mère de quatre enfants en se croisant les chevilles, le regard posé sur son fils de 11 ans qui gardait les buts. "Je n’ai jamais eu de tuteur féminin, que ce soit en médecine générale ou dans une spécialité, là n’est pas la question. L’important, c’est que je ne suis pas de garde les soirées ni les week-ends, et que j’ai une vie en dehors du travail." 

 

p. 205

Hakim [note : Catherine Hakim, sociologue britannique] a amassé des données d’enquêtes et de recensements nationaux européens et américains montrant que les femmes des sociétés modernes sont loin de présenter un portrait homogène. En fait, elles se répartissent à peu près également en trois groupes nettement distincts. Il y a celles qui veulent rester à la maison à temps plein, que Hakim dit "orientées-maison" (environ 20%). Il y a celles qui donnent priorité à leur carrière, les "orientées-travail" (environ 20%). Le fait d’être femme ne désavantage pas ces dernières : si elles ont les mêmes compétences et travaillent aussi dur que les hommes, elles obtiennent les mêmes gratifications qu’eux.

Le troisième groupe, soit les 60% restantes, sont des femmes qui cherchent à concilier enfants et carrières, changeant d’emplois et d’horaires en quête de la combinaison parfaite. Ces femmes "adaptatives" ajustent leur carrière en fonction des besoins de leur famille et de leurs propres valeurs, une tendance aussi forte dans des pays progressistes comme la Suède ou la Norvège qu’aux Etats-Unis. Comme Sandra, beaucoup n’ont pas de plan arrêté à leur arrivée sur le marché du travail ou, si elles en ont un, celui-ci change à la seconde où elles voient le visage de leur bébé. Résultat, elles finissent par travailler à temps partiel, ont des CV remplis de trous et elles occupent des postes moins élevés que si la famille n’avait pas été leur priorité.

Adapter sa carrière à sa famille va de soi pour les femmes de ce groupe, qu’elles soient avocates, infirmières ou commerciales. Ma propre expérience est fidèle à cette description : j’ai enseigné, fait de la clinique et écrit, travaillant tantôt à plein temps, tantôt à temps partiel, et ce pendant les vingt ans où j’ai élevé ma famille. Tout comme celle de Sandra : en douze ans, elle a changé de poste quatre ou cinq fois, une stratégie peu recommandée pour devenir associée dans un cabinet. Hakim parle de la "théorie de la préférence" pour pointer deux réalités. Les femmes ne veulent pas toutes la même chose. Et quand elles peuvent choisir, seulement 20% d’entre elles environ font les mêmes choix que les hommes.

 

p. 221

En moyenne, parmi les avocats, les femmes migrent plus souvent que les hommes vers des emplois correspondant mieux à leurs valeurs, mais moins rémunérateurs. Elles s’imposent elles-mêmes un plafond de verre. "J’ai l’impression que les femmes attachent plus d’importance à la justice sociale", disait Caroline, parlant des raisons qui avaient poussé ses amies à faire leur droit et elle à passer du secteur privé à la fonction publique. Son impression est confirmée par le nombre de femmes qui disent choisir le droit afin de "promouvoir la justice sociale", selon l’auteur Mona Harrington, et qui font ensuite carrière dans l’aide juridique ou dans un secteur sans but lucratif, deux milieux dominés par les femmes.

Au moins dix études montrent que les femmes, en général, considèrent les aspects sociaux du travail plus importants que les hommes, tandis que ces derniers sont davantage attirés par le salaire et les possibilités de promotion. La récente étude réalisée auprès de 500 familles américaines (la 500 Family Study) décrite au chapitre 3, a montré que les gratifications intrinsèques de l’emploi, par exemple l’intérêt et les défis inhérents de la tâche, le soutien social et l’aspect humanitaire de la mission sont de puissants motivateurs pour la majorité des femmes et l’emportent sur les récompenses extrinsèques, telles que le salaire et les autres avantages. Bien sûr, les hommes aussi sont motivés par les défis du poste et la possibilité d’apporter une contribution. Mais ceux qui ont participé à l’étude s’intéressaient moins aux aspects sociaux et altruistes de l’emploi.

 

p. 225

Pour la plupart, les femmes ont atteint des emplois définis par l’ambition masculine. En tournant les talons, plus de la moitié des avocates disent qu’elles rejettent cette idée de la réussite.

Une ténacité plus typiquement masculine peut avoir un coût en termes de bonheur et de santé. Pour occuper certains emplois de haut niveau, il faut être plus ou moins monomaniaque. Dans les échelons les plus élevés, le travail passe avant tout le reste. Si la réussite professionnelle est le seul but poursuivi, il n’y aura pas de conflit. En revanche, la poursuite de buts multiples ne peut se faire sans concessions - un autre angle utile à l’évaluation du paradoxe des genres. En choisissant un emploi moins extrême ou plus socialement engagé, les femmes expriment leur préférence et exercent un contrôle sur leur vie. Elles seront peut-être moins riches, mais plus heureuses.

 

p. 252

Les femmes n’aiment pas négocier pour elles-mêmes et n’aiment pas plus que leurs subordonnées cherchent à négocier avec elles. Les dirigeantes ont tendance à pénaliser hommes et femmes qui ont tenté de négocier leur salaire. Et les patrons sont moins bien disposés vis-à-vis des femmes qui discutent leur taux de rémunération. Reste que la négociation permet d’avoir de plus gros revenus. Même quand les femmes finissent par négocier, elles ont tendance à fixer des objectifs moins audacieux, et se retrouvent donc avec moins, écrit Babcock. Dans une négociation, l’autre partie peut s’en rendre compte et en retour mettre la candidate au défi de discuter en lui offrant moins. Comme Babcock [note : Linda Babcock, économiste américaine] me l’a rapporté au téléphone, les femmes demandent moins, tout simplement. L’intention n’est pas discriminatoire , mais l’effet l’est, et il prend racine dans la répugnance des femmes à bomber le torse et à se battre pour obtenir plus.

 

p. 320

Aussi longtemps qu’une proportion significative d’entre elles cultivera des intérêts autres ou plus variés que ceux des hommes, les femmes seront attirées par des métiers différents. Or il se trouve que les professions axées sur les relations humaines et le langage, celles qui plaisent le plus aux femmes, sont moins bien payées que des professions typiquement choisies par les hommes. Malgré des niveaux de scolarité évidents, les enseignantes et les infirmières gagnent moins que les informaticiens et les ingénieurs. Les orthophonistes et les assistantes sociales gagnent moinq que les dessinateurs et les techniciens du son. Au sein d’une même profession, les femmes sont attirées par des spécialités (par exemple la médecine généraliste et la pédiatrie) moins bien rémunérées que celles qui attirent les hommes (chirurgie, pathologie et radiologie). On ne sait pas ce qui vient en premier, des salaires peu élevés dans les emplois liés aux ressources humaines ou des échelles salariales stagnantes dans les emplois dominés par les femmes, naturellement moins portées à négocier. Peu importe le scénario, les femmes se retrouvent dans des emplois moins bien rémunérés.



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