« Je n’avais pas une minute de répit ». Fabiano Citroni. Le matin on line, 28 août 2006
[Dans le domaine des violences, nous publions peu de témoignages individuels, et nous privilégions les études générales, qui donnent une idée d’ensemble des problèmes. Nous le faisons ici car le harcèlement sexuel féminin contre les hommes est l’une des violences (avec la violence conjugale féminine, ou le viol féminin) que l’opinion se représente concrètement le moins, et dont elle met en doute la possibilité. Le témoignage qui suit (qui n’a pas été recueilli par nous) devrait l’aider à changer d’avis.]
« Je n’avais pas une minute de répit »
HARCÈLEMENT SEXUEL. Viré pour avoir repoussé les avances de sa patronne, il gagne en justice. Michel* a été harcelé sexuellement pendant près de six mois par sa cheffe. Il n’a jamais cédé et a fini par être licencié. Il raconte son calvaire.
Fabiano Citroni. 28 août 2006
Michel*, 49 ans, marié, père de deux enfants, a appris la nouvelle hier en ouvrant le journal : près de trois ans après l’avoir licencié, son ancien employeur a été condamné pour licenciement abusif. Quant à son ancienne patronne, elle a été reconnue coupable de harcèlement sexuel.
Michel*, vous avez découvert la décision de la Chambre d’appel de la juridiction des Prud’hommes en lisant la Tribune de Genève. Votre première réaction ?
- J’ai ramassé la claque. Je me trouvais dans la salle d’attente de mon psychanalyste. J’ai pleuré pendant trente minutes dans son cabinet. Je ne sais pas si c’était de joie ou de tristesse. Trois ans après les faits, cette histoire m’atteint encore.
- Reprenons. Pendant vingt ans, vous avez travaillé dans une grande entreprise de courrier rapide. En mars 2003, vous êtes approché par une société concurrente, que vous rejoignez en juillet. Que se passe-t-il alors ?
- Je devais occuper le poste de responsable pour la Suisse. La patronne, environ 40 ans, comptait se marier et réduire son temps de travail. Mais sa relation s’est terminée et elle a décidé de garder le job. Je ne pouvais rien faire car elle était la numéro un de la société. Assez rapidement, elle m’a parlé de ses problèmes de couple et de sa vie sexuelle. Je voyais qu’elle était mal dans sa peau et lui ai prêté mon aide à sa demande.
- Quand a-t-elle commencé à vous harceler ?
- Le 13 août 2003, lors d’un apéritif. Nous étions au travail pour fêter le départ d’un employé. Elle m’envoie un SMS : « J’ai à te parler ». Puis elle quitte la pièce. Je la suis, elle me plaque contre le mur. Elle dit : « Embrasse-moi ! », puis elle m’empoigne et me griffe à travers ma chemise. Je lui montre mon alliance. Elle répond : « Aucune importance ! ». Ce jour-là, le monde s’est écroulé pour moi.
- La suite ?
- Elle m’envoyait des SMS jour et nuit. Elle me demandait par exemple si je l’aimais. Plusieurs fois, elle m’a sauté dessus.
- Sur le lieu de travail ?
- Partout. Au sous-sol, dans la voiture lorsque nous allions rendre visite à des clients, au restaurant. Je n’avais pas une minute de répit.
- Comment s’est terminée l’histoire ?
- Fin octobre, un soir, nous étions seuls au bureau. Elle le ferme à clefs et se montre très insistante. Je la repousse sans équivoque. Depuis ce jour, elle ne m’a plus adressé la parole. Fin novembre, j’ai été licencié.
- Qui était au courant de l’histoire ?
- A l’interne, je n’en parlais pas car il est interdit de critiquer un supérieur. J’ai demandé conseil à deux connaissances travaillant dans les ressources humaines et je me suis confié à un ami.
- Après six mois dans cette entreprise, comment avez-vous vécu le licenciement ?
- J’ai fait une dépression grave. Avec ma femme et mes enfants, nous avons vécu un calvaire.
- Comment votre épouse a-t-elle géré la situation ?
- Je ne lui avais rien dit sur le moment car je pensais régler le problème en discutant avec ma patronne. Quand j’ai été licencié, je lui ai tout raconté, mais j’ai perdu sa confiance.
- Aujourd’hui, elle vous croit ?
- Je pense que oui. Nous sommes mariés depuis onze ans, mais je ne sais pas si nous pourrons nous débarrasser du poids de cette souffrance.
- Vous venez de retrouver du travail et vous avez obtenu gain de cause devant la justice. C’est un nouveau départ...
- Je renais à la vie. Mais ce n’est pas une victoire. C’est un pansement sur une plaie ouverte. Quand je revois mon passé, j’ai honte. Pendant deux ans, j’ai été un père et un mari indigne. Je traînais dans la maison comme un zombie. Les souffrances sont terribles. Je ne sais pas du tout ce qui va se passer demain.
* prénom d’emprunt
Le Matin on line
http://www.lematin.ch/nwmatinhome/nwmatinheadactu/actu_suisse/_je_n_avais_pas_une.html
Imprimer