Un système qui comprend mal la détresse des hommes. Eric Langevin. Le nouvelliste, 18 novembre 2006
[Très intéressant, le travail de recherche de cet étudiant québécois, qui rejoint les conclusions de Germain Dulac (Aider les hommes... aussi. VLB, 2001) sur l’inadaptation des services de santé aux demandes d’aide des hommes.]
Un système qui comprend mal la détresse des hommes
Toutes les statistiques le démontrent : pour une femme qui complète un suicide, quatre ou cinq hommes feront de même. Certains spécialistes parlent d’isolement plus grand chez les hommes, d’autres d’une disposition qui fait en sorte que les hommes gardent tout à l’intérieur.
Pour sa part, Philippe Roy se questionne : est-ce que le système de santé est capable de prendre en charge la détresse psychologique des hommes ?
L’étudiant trifluvien, dont le sujet de maîtrise concerne la santé des hommes, travaille actuellement avec les résidents de l’Accalmie, une ressource communautaire en hébergement pour crise suicidaire, la dernière-née de la gamme des services pour le suicide dans la région.
"Je mène des entrevues exploratoires avec des hommes. Je me permets d’écouter les hommes plutôt que de poser des questions pour essayer de les catégoriser. Dans le système de santé actuel, on se concentre tellement sur le diagnostic et les soins cliniques qu’on en oublie d’écouter la personne", mentionne M. Roy qui détient aussi un baccalauréat en psychologie de l’UQTR.
Philippe Roy constate dans ses recherches que, historiquement, les hommes s’attribuent des rôles. L’échec de l’un de ces rôles est lourd à porter.
"En discutant, je me rends compte que c’est quand un homme échoue comme père, comme pourvoyeur familial ou comme travailleur que ça devient insupportable pour certains. Mais ils ne sont pas en mesure de le formuler parce que, dans leur tête, un homme doit avoir du contrôle, de la force, de le fierté. Ils doivent être invincibles, indépendants, omniprésents, etc."
Il y a une question culturelle assurément dans ces aspects. Une idéologie qui est maintenue et même renforcée. "Si on prend la publicité, par exemple. On présente les camions de Ford comme étant l’égal de l’homme et on donne les caractéristiques suivantes : fort, robuste, fiable, qui n’a peur de rien, qui ne s’arrête jamais. Un moment donné ça rentre dans la tête", image Philippe Roy.
Jusqu’ici, le chercheur constate que c’est la perte d’identité masculine qui conduit au suicide. "Quand l’homme perd son terrain, son espace de jeu, quand il n’a plus son travail ou sa famille, la rupture abrupte et inattendue conduit souvent vers une perte d’identité et, parfois, à des idées suicidaires", explique M. Roy
Tout cela se reflète aussi dans certains services du réseau de la santé. "Plusieurs des thérapies actuelles obligent pratiquement les hommes à laisser leur masculinité à la porte. Les comportements masculins ont leurs particularités et on doit les respecter."
M. Roy est donc d’avis que pour aider les hommes, les services de santé devront changer, se masculiniser à la limite.
"Un homme en crise qui arrive à l’urgence, par exemple, va certainement faire peur à l’infirmière au triage par ses propos et ses comportements parce qu’il risque d’être violent. Si l’infirmière lui lance un : "Tu vas me parler autrement". C’est fini. L’homme va se fermer", illustre l’étudiant.
"Les hommes vont faire des demandes d’aide en bousculant et en gueulant. Il faut être capable de les recevoir et de les traiter", mentionne Hélène Roy, coordonnatrice des services de réponse téléphonique au Centre prévention suicide les Deux rives.
Les intervenants - des femmes pour la plupart - sont sensibilisés à la réalité masculine. "La relation d’aide, c’est encore une histoire de femmes. Ici, on a deux intervenants masculins et je peux vous dire une chose, c’est qu’on en prend soin", souligne Mme Roy.
"Pour arriver à parler du vrai problème, les hommes doivent vider leur sac", croit Mme Roy. "C’est long avant d’y arriver. Il faut prendre le temps de les écouter. Je ne suis pas certaine que notre système de santé est fait pour eux."
On ne peut pas non plus venir en aide de la même façon aux hommes. "Premièrement, c’est souvent leur épouse ou leur ex qui appelle la première fois. Ensuite, on se rend compte que c’est difficile de référer un homme vers une ressource communautaire. Lui suggérer un médecin, ça passe toujours, mais il faut le prendre en charge tout de suite. Si on donne une carte en disant d’appeler , la plupart du temps il ne le fera pas", mentionne Mme Roy.
Cette dernière considère que le système de santé commence à peine à s’adapter aux hommes. Le travail reste cependant très colossal.
Eric Langevin - Le Nouvelliste Trois-Rivères, 18 novembre 2006
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