Le crime des pères (extrait). Michel del Castillo. Seuil, Points roman, 1993
[Dans ce roman en partie autobiographique, l’auteur raconte comment il a été abandonné par ses parents, et comment il a été pris en charge par Anton, un adulte qui lui a servi de père de substitution, bien qu’il ne soit pas forcément un modèle au plan moral. Ici, il précise ce qu’il ressent comme le passage d’une énergie paternelle ou masculine de l’un à l’autre.]
Les mots qui ont tissé notre complicité reposent en deçà de la langue. Ils circulent dans le sang, se cachent dans les cellules. Il s’agit d’abord d’une présence aussi prégnante que la plus archaïque paternité. Ce que je buvais auprès d’Anton, c’était l’élixir de la puissance et de la force. Je soignais mon anémie filiale avec ce liquide distillé dans l’alambic des rêves. En un sens, Anton m’avait rendu la vie à un moment où j’étais près d’abandonner le combat. Il m’avait insufflé un peu de son énergie. De son corps au mien, au cours de ces déplacements nocturnes où sa voix me berçait, une transfusion s’opérait, goutte à goutte. Son sang régénérait le mien, ses cellules alimentaient les miennes d’une substance mystérieuse. Ce qu’Anton exprimait, ce qu’il s’imaginait dire, comptait moins que le débit de sa voix, la musique de ses phrases. Ma jeunesse réclamait cette intimité charnelle, cette atmosphère de complicité masculine. Loin de m’effrayer, la terrible violence d’Anton et ses accès de fureur contribuaient à me rassurer en me montrant que le lien de mort entre une mère et son fils, un père pouvait le trancher.
Michel del Castillo
Le crime des pères
1993, Seuil, Points roman
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