La paix des ménages, histoire des violences conjugales XIXe-XXIe siècle. Victoria Vanneau. Anamosa, 2016
La paix des ménages. Histoire des violences conjugales. XIXe-XXIe siècle. Victoria Vanneau. Anamosa, 2016
Si l’on en croit les historiens misandres, "les" hommes (tous les hommes) auraient, de toute éternité et en toute bonne conscience, battu "les" femmes (toutes les femmes) impunément. Puis, un jour, dans les années 70, "les" femmes se seraient levées, et auraient enfin obtenu, par la pression et malgré des résistances énormes, des lois et des services, qui depuis les protègent, quoique de manière insuffisante.
Victoria Vanneau, historienne du droit, a réalisé un travail énorme, le premier à notre connaissance, qui, à partir de l’histoire des législations, établit une réalité bien différente. En voici les principaux points de repère, à partir de la Révolution :
loi du 22 juillet 1791 : érige en circonstance aggravante le fait pour un homme de battre une femme, un enfant, un vieillard
loi du 20 juillet 1792 : accorde le divorce ou la séparation de corps pour excès, sévices et injures graves
1804, 1ère version du Code civil : l’article 231 confirme la précédente loi
9 avril 1825 : la Cour de cassation casse le jugement d’un tribunal correctionnel qui s’était déclaré incompétent suite à la plainte d’une conjointe (affaire Boisbeuf), au titre que les "querelles entre époux" étaient trop "délicates" à traiter. Ce qui revient à affirmer la compétence de la Justice en la matière.
21 novembre 1839 : suite à la plainte d’une conjointe contre son conjoint pour des violences sexuelles ("attentat à la pudeur") et à l’ouverture d’une instruction, suite au pourvoi formé par le mari au titre que cette disposition était inapplicable entre époux, la Cour de cassation rejette le pourvoi, affirmant que la situation de mariage n’implique pas la fin de la protection du conjoint par la loi. C’est un premier jalon pour l’introduction dans le droit, en tant que délits ou crimes, des violences sexuelles à l’intérieur du couple .
22 juin 1880 : dans une décision, la Cour de cassation estime qu’un seul fait d’excès, sévices et injures graves de la part du mari sur la femme peut suffire à motiver la séparation de corps.
1912 : le Répertoire pratique de Dalloz précise le sens de certaines catégories de droit utilisées dans les procédures de divorce. "Excès" = attentat de l’un des époux à la vie de l’autre ; "sévices" = tous actes de cruauté, de brutalité ou de méchanceté qui ne portent pas atteinte à,la vie de l’époux. ; "injures graves" = écarts de paroles, d’écrits, d’actes matériels par lesquels l’un des époux porte atteinte à l’honneur de son conjoint, ou lui témoigne sa haine ou son mépris. (t. 4, p. 398)
9 février 1923 : affaire des époux Thaon. Le mari a exercé des violences physiques sur son épouse. L’affaire est déférée au juge de paix, qui l’acquitte. Mais la Cour de cassation, saisie, casse le jugement au titre que l’affaire est suffisamment grave pour être confiée, non à un juge de paix, mais au tribunal correctionnel.
Il apparaît ainsi que tout au long du XIXè siècle, et plus tard encore, les magistrats ont pris en compte les violences conjugales et fait ce qu’ils pouvaient pour leur donner une place légitime dans le droit. Cela a permis aux tribunaux correctionnels et d’assises de condamner des hommes violents, et aussi des femmes violentes. Ces condamnations ont permis d’esquisser une définition des violences conjugales, qui sera précisée au XXè.
Ainsi, l’historiographie misandre est complètement prise en défaut :
- certes, les juges (et les jurés) du XIXè siècle étaient exclusivement des hommes, ce que nous regrettons. Mais on ne peut dire que cet entre-soi les ait amenés à conforter une présumée "domination masculine", en ignorant le problème des violences conjugales, puisqu’à l’inverse celles-ci ont fait de leur part l’objet de débats, de lois et de procédures.
- même si le nombre de plaintes est resté limité, elles ont bel et bien été instruites, qu’elles viennent de victimes femmes ou hommes, et ont donné lieu à des condamnations, contre des agresseurs féminins ou masculins.
- le mouvement féministe de la fin du XXè siècle a permis une formidable accélération à la prise en compte de ces violences, amenant la société à lancer des campagnes de prévention, créer des lieux de soutien, organiser des enquêtes statistiques et favoriser les dépôts de plainte. Mais l’action de ce mouvement n’a constitué ni une rupture ni une innovation. Elle s’inscrit dans une continuité, elle recueille l’héritage du travail antérieur de professionnels qui n’avaient rien à voir avec le féminisme, sans pour autant qu’ils privilégient l’un ou l’autre sexe.
- par contre, on peut reprocher au mouvement féministe d’avoir occulté la moitié du problème, en le sexuant et en le réduisant à une "violence contre les femmes", vision que ne partageait pas le XIXè. Comme nous, l’auteure s’élève contre ce réductionnisme.
A lire aussi son excellent article : http://www.huffingtonpost.fr/victoria-vanneau/en-finir-violences-conjugales-droit_b_9659092.html
Patrick Guillot
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