Ecarts de rémunération hommes-femmes. Cecilia Garcia-Penalosa. Atlantico, 8 décembre 2014


 

[Tout est dit ici, et bien dit, sur les écarts salariaux en fonction du sexe, lesquels ne relèvent d’aucune discrimination. Les causes réelles en sont expliquées par une spécialiste. C’est la rédaction d’Atlantico qui a coloré certains passages en gras]

 

Ecarts de rémunérations hommes-femmes : ces facteurs d’explication que les statistiques internationales oublient de prendre en compte

Cecilia García-Peñalosa est directrice de recherche Cnrs à l’Ecole d’Economie d’Aix-Marseille (AMSE) et membre du Conseil d’Analyse Economique

Le dernier rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) révèle un déséquilibre salarial entre hommes et femmes sur un échantillon de 38 pays. La France ne fait pas exception, les hommes y gagnent 16 % de plus. Et la discrimination entre les sexes n’est de loin pas la seule explication.

Atlantico : Les écarts de rémunération entre hommes et femmes en Europe sont encore importants, selon le dernier rapport mondial de l’Organisation internationale du travail sur les salaires (voir ici). En France, à temps plein les hommes gagnent 16% de plus que les femmes, selon les chiffres 2013 de l’Observatoire des inégalités (voir ici). Quels sont les facteurs qui expliquent qu’à niveau de qualification équivalent, hommes et femmes ne gagnent pas autant en moyenne ?

Cecilia García-Peñalosa : Deux facteurs expliquent cet écart. D’un côté, les femmes travaillent moins que les hommes, que ce soit à cause des arrêts de travail ou parce qu’elles ont un nombre d’heures de travail inférieur.

En 2012, le taux d’activité des femmes était de 67% contre 76% pour les hommes, et parmi les actives, 27% des femmes travaillaient à temps partiel contre 6% des hommes. Ces différences impliquent moins d’heures payées, mais aussi une pénalité due au fait que les postes à temps partiel ont un salaire horaire inferieur[1]. D’un autre côté, hommes et femmes travaillent dans des secteurs et postes différents. Les femmes sont surreprésentées dans des secteurs offrant des horaires souples et peu d’incertitude dans les progressions de carrière (services à la personne, secteur public, etc.) et qui se caractérisent par des rémunérations plus faibles que celles qu’on trouve ailleurs. Outre la ségrégation des femmes dans certains métiers, il existe une ségrégation verticale qui les confine en bas de l’échelle des carrières. Les hommes et les femmes ont des rythmes de promotion très différents qui contribuent à l’écart salarial et qui expliquent pourquoi il est bien plus important en fin qu’en début de carrière

L’OIT rappelle qu’une part de l’écart de rémunération entre hommes et femmes reste "inexpliquée" (9%, selon l’Observatoire des inégalités). Que faut-il entendre par là ? Cette part est-elle attribuable uniquement à la permanence de considérations sexistes plus ou moins avouées, ou d’autres pistes sont-elles envisageables ?

Comme nous venons de voir, l’écart de rémunération entre hommes et femmes est en grande partie dû aux différences entre les deux groupes en termes d’éducation, durée du travail, expérience et type d’emploi (catégorie CSP, fonction, secteur d’activité). La partie de l’écart qui ne peut pas être attribuée à des différences dans ces caractéristiques est appelée "inexpliquée". Une interprétation possible de la composante « inexpliquée » est la présence d’une discrimination à l’encontre des femmes, définie comme le fait de payer des salaires différents à deux individus avec les mêmes capacités et poste mais de sexes différents. Une telle interprétation n’est pas toujours légitime car les séries statistiques disponibles à niveau national ne mesurent pas toutes les caractéristiques productives des individus. Ainsi, la composante « inexpliquée » peut résulter du fait que nous n’observons pas toutes les caractéristiques du poste de travail. Pour un pays comme la France, une fois qu’on utilise des données suffisamment précises, la partie inexpliquée de l’écart salariale est presque inexistante, mais elle peut rester importante ailleurs, notamment pour les économies émergentes et en développement.

Compte tenu de ces réalités, des aspirations propres à chaque sexe mais aussi à chaque individu, et aussi de la nature des différentes activités professionnelles (pour certaines activités les personnes sont interchangeables, mais pour d’autres il est nécessaire d’établir des contacts réguliers avec les clients, et donc de ne jamais se mettre trop longtemps en retrait de ladite activité), aussi louable l’intention de l’OIT de réparer cette injustice sociale soit-elle, est-il illusoire de penser qu’elle pourra un jour être entièrement résorbée ?

Nous sommes face au dernier chapitre de la convergence entre hommes et femmes, et celui-ci est le plus difficile[2]. Si les préférences des hommes et des femmes sont intrinsèques, et si les exigences des différents métiers proviennent simplement des contraints technologiques, alors il n’est pas envisageable de faire disparaitre l’écart de salaire entre les hommes et les femmes. Mais, est-ce que ces préférences et ces technologies peuvent changer ?

Les différences importantes qui existent entre pays suggèrent qu’on ne peut s’en tenir à l’explication purement technologique pour les exigences professionnelles. En Suède, par exemple, les travailleurs à temps partiel subissent peu de pénalité salariale et ont une autonomie dans le travail bien plus élevée qu’ailleurs. En Allemagne les avocats travaillent moins d’heures qu’aux Etats-Unis ; il n’est pas surprenant d’observer que le métier est bien plus féminisé outre-Rhin que de l’autre côté de l’Atlantique. En ce qui concerne les différences sexuées dans les préférences, elles peuvent avoir une origine évolutionniste mais résulter aussi de constructions sociales. De plus en plus d’études montrent que les interactions sociales jouent un rôle crucial pour renforcer les stéréotypes et qu’une partie importante des préférences et attitudes professionnelles des femmes résultent de ces interactions. Par conséquent, pour les pays à haut revenu, les politiques préconisées par l’OIT pour augmenter l’égalité au sein des ménages sont fondamentales, mais il est aussi nécessaire d’entamer une réflexion sur les normes sociales dans le monde du travail si nous souhaitons atteindre un jour l’égalité professionnelle.

Selon le rapport de l’OIT, si le désavantage salarial "inexpliqué" était supprimé, l’écart de salaires serait inversé dans près de la moitié des 38 pays concernés par l’étude : autrement dit, les femmes gagneraient plus. Comment l’expliquer, et cela reste-t-il purement théorique ?

Dans la course vers l’égalité professionnelle il y a un aspect dans lequel les femmes ont devancé les hommes : l’éducation. D’après les données de l’OCDE, en 2011, la proportion de Françaises en âge de travailler avec un diplôme d’éducation supérieur était 3 points de pourcentage plus élevée que celle des Français, l’écart étant de 8 points pour les individus âgés entre 25 et 35 ans. Cet avantage éducatif est encore plus important ailleurs : 15 points en Suède et 10 points en Espagne ou en Italie. Il implique que si les femmes faisaient les mêmes choix professionnels que les hommes, leur niveau de rémunération serait supérieur. Il ne s’agit pas d’une simple hypothèse théorique ; les jeunes femmes suédoises, avec 15 points d’écart éducatif par rapport aux hommes, pourront dans quelques années être un exemple d’un écart inversé.

Propos recueillis par Gilles Boutin

Atlantico, 8 décembre 2014


http://www.atlantico.fr/decryptage/ecarts-remunerations-hommes-femmes-ces-facteurs-explication-que-statistiques-internationales-oublient-prendre-en-compte-cecilia-1893287.html



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