Paternité imposée, viol, quel mot trouver ? Thomas Julien, juillet 2012
[Un témoignage proposé par un lecteur du site. Outre l’émotion qu’il porte, il interpelle par l’insatisfaction qu’il exprime par rapport aux mots ; autrement dit, quels mots utiliser pour désigner une telle épreuve, une telle souffrance ?]
Subissant depuis 5 ans une paternité imposée, je tiens à témoigner de ce fait, me joindre à tous ceux qui en sont l’objet, et poser une question de mot. Je résumerai ensuite comment, contre mon gré, je me suis retrouvé père.
Paternité imposée, question de mot
Mon premier sentiment de père malgré moi est celui de la solitude, car le sujet de la naissance cristallise, je m’en rends bien compte, des passions violentes dans lesquelles l’intimité profonde, le respect de soi, la reconnaissance d’autrui, le discernement, la raison, sont hélas exclus.
Alors que l’on se retrouve K.O. debout, nié dans sa vie, dans son corps, dans son intimité, dans sa personne, perdu, en quête de repères et d’oreilles pour parler, tenter de comprendre, on réalise rapidement que parler sereinement de paternité imposée à ses proches est donc une tâche quasi-impossible.
L’une des raisons, me semble-t-il, à cet état, est que la « paternité imposée » n’a pas de nom véritable. Le mot le plus proche me paraît celui de « viol », mais tout le monde sait que ce mot prête à confusion, et ne convient pas exactement.
L’absence de mot pour désigner la paternité imposée rend de ce fait la chose contestable dans sa réalité même. Un jour, une femme, m’avouant qu’elle avait fait un enfant à son mari alors que celui-ci n’en voulait pas m’a dit en souriant : « ben quoi, je l’ai pas violé... »
Le fait que le mot « viol » ne convienne pas, la met donc à l’abri de l’opprobre que l’on jette sur les violeurs, alors qu’en réalité, « l’entourloupe » à laquelle elle s’est livrée pour arriver à ses fins est lourde de la même gravité.
Le mot n’existe pas car le monde a radicalement changé depuis seulement une cinquantaine d’années, avec l’avènement de la pilule venant compléter d’autres moyens de contraception. Comment ne pas se réjouir d’un tel changement, d’une telle libération ? Le problème est qu’en donnant légitimement la possibilité aux femmes de disposer de leur corps, elle donne aussi à certaines la possibilité de disposer le la vie de leur conjoint ou de tout homme fertile qu’elles rencontrent, et surtout la possibilité de mettre au monde des humains non-désirés.
Ce fait est nouveau, et le chemin de l’égalité hommes/femmes n’étant pas encore achevé (hélas loin de là), le temps est encore à systématiquement victimiser les femmes et culpabiliser les hommes. On n’a clairement pas encore intégré le fait que certaines avancées, au démarrage légitimes et bénéfiques pour tous sont allées beaucoup trop loin et produisent une inégalité inverse, radicale et dévastatrice pour tous, en premier lieu pour les humains à naître.
L’expression « paternité imposée », ne contient pas comme le mot « viol » l’idée de violence faite sur la vie d’un homme et surtout sur un enfant non désiré. Au mieux, il la sous-entend à ceux qui en sont l’objet, au pire, il ramène à de simples idées de code civil et de fiscalité. Il ne rend pas compte du drame humain généré dans toute son horreur et sa bestialité.
Y a-t-il quelque part quelqu’un qui connaîtrait le mot équivalent au viol pour désigner la « paternité imposée » ? Il me semble que c’est là le point de départ.
Comment, malgré moi, je me suis retrouvé père
Jusqu’à 45 ans, je vivais sans enfant. Mon choix était, ressenti, assumé totalement, réfléchi je crois. En développer toutes les raisons serait bien trop long, ennuyeux sûrement, je revendique seulement le fait qu’elles étaient tout aussi respectables que le fait d’en vouloir.
L’une d’elles, sans doute la plus forte est que la vie de couple m’a jusqu’ici toujours insupporté, et que je pense que quand on choisit de mettre au monde un enfant, on doit être en mesure de lui garantir une solide stabilité familiale, un amour indéfectible et la démonstration quotidienne d’une relation d’amour intelligent et cohérente entre ses deux parents, conditions qu’à aucun moment de ma vie je ne me suis vu en état de réunir.
Parfois, des femmes m’avaient demandé de leur faire un enfant, j’avais toujours refusé, elles avaient respecté ma parole et, dans ma grande naïveté, j’en étais venu à penser que les choses allaient ainsi.
Il me semblait alors impensable qu’une femme responsable puisse avoir seulement l’idée de mettre au monde une vie humaine avec pour seul projet de répondre à l’appel de son ventre. La lutte pour disposer de celui-ci avait été trop dure, trop belle, pour que cela soit possible.
En ce temps là, ironie du sort, j’étais drapé de vertu, pourfendeur de près ou de loin toute forme de machisme, je me joignais volontiers aux concerts déplorant l’irresponsabilité des pères qui n’assument pas leur rôle, je me disais, bien au chaud de moi même, que si je devenais père un jour, dans une autre vie, certes, les choses ne se passeraient pas comme ça, je tisserais un climat d’amour, je serais présent avec la bonne distance, je chercherais à faire résonner de mon mieux cette vie nouvelle...
De tout mon poids, je m’appuierais sur mon choix assumé, conjugué avec celui de je ne sais quelle mère que j’aurai choisi...
Un jour, j’ai entamé une relation amoureuse avec une femme d’une quarantaine d’années que je connaissais déjà depuis quelques temps. C’était la fin du printemps, début de l’été, l’air était doux, le vin était bon, tout était simple, elle était pour moi une personne réfléchie, j’avais en elle une confiance totale. Lors de notre premier rapport sexuel, je lui ai proposé de lui montrer de récentes analyses (une semaine) par lesquelles je ne portais pas le virus du SIDA, elle m’a répondu qu’elle me faisait confiance, que par ailleurs elle avait été amenée à en faire également de son côté, et qu’il n’y avait « pas de danger ». ...Pas de danger...
Le lendemain de ce premier rapport, je me suis enhardi à lui demander par quel moyen de contraception elle évitait d’avoir des enfants, et c’est là que la première étrangeté est apparue : elle ne m’a pas répondu.
J’ai posé la question trois fois (je me souviens de ce moment dans ses moindres détails), et puis, voyant qu’elle ne répondait toujours pas, j’ai pensé, oh, Grand Naïf que j’étais, que ma question était indiscrète voire insultante, et je n’ai donc pas insisté.
Par la suite, notre idylle a continué, et parmi nos nombreuses conversations, jamais, pas une fois nous n’avons abordé la question des enfants.
Un matin d’automne, au bout de 4 ou 5 mois, la nouvelle est tombée : « je suis enceinte ». Je me souviens que ma première question a été : « comment ça se fait ? », et qu’elle n’a rien répondu et que ce silence, enfin, a commencé à m’intriguer (à ce jour, elle n’a d’ailleurs toujours pas répondu). Il était trop tard : « je le garde ». Elle avait, je l’ai su par la suite, déjà eu deux fois recours à l’IVG, et il n’était pas question d’y recourir une troisième fois.
Dans les jours et les semaines qui ont suivi, je l’ai supplié de ne pas garder l’enfant, je lui ai très clairement dit que je n’en voulais pas, je lui ai développé une à une ( et elles étaient nombreuses autant que sensées) toutes les raisons par lesquelles son choix me paraissait une folie, elle n’a rien voulu savoir.
Des horreurs ont alors été échangées : « t’avais qu’à prendre tes précautions », « arrête de vouloir tout contrôler » (précisément, à ce moment, c’est elle qui contrôlait tout) et notre relation amoureuse a bien sûr cessé : pas question d’engager l’Aventure avec une femme dont je n’ai jamais voulu qu’elle soit la mère d’un enfant dont je n’ai pas voulu non plus, et qui va avoir comme référence parentale un père qui en veut à sa mère de l’avoir mis au monde.
Un jour elle m’a écrit : « bien sûr j’ai été ambivalente, bien sûr qu’au fond de moi je me suis laissé une chance de tomber enceinte »... Je lui ai demandé le sens de cette phrase, elle n’y a pas plus répondu, et comme je lui ai demandé plusieurs fois, elle m’a envoyé un jour un texto pour me dire que je lui faisais penser à « un homme maltraitant une femme et qu’elle ne voulait pas être une "femme battue".
Je suis donc devenu par force, l’un de ces pères que je vilipendais quelques mois plus tôt. Je refusait catégoriquement d’assumer une paternité qui m’avait été imposée, je quittais délibérément une femme qui niait mon intimité, mes aspirations, ma vie et pour qui le fait d’imposer la venue à un enfant sans le désir de son père n’était qu’un détail négligeable.
A sa naissance, je ne suis pas allé voir ma fille, et encore aujourd’hui, je me refuse, bec et ongles, de rentrer dans le rôle du père qui finalement était consentant. Je ne la vois finalement qu’un week-end sur deux et un peu pendant les vacances, avec pour seul objectif qu’elle sache qui je suis, que je l’aime, et qu’elle n’est pour rien dans le conflit et la haine qui est née entre sa mère et moi. Elle m’appelle papa, nous jouons ensemble, je l’emmène « aux jeux », lui lis des histoires et tente de faire tout ce qui paraît opportun de lui apporter. Au début sa mère, à 50 km de chez moi, croyait, semble-t-il, que j’allais l’implorer pour en avoir la garde plus souvent, sans imaginer, manifestement qu’encore maintenant, même si elle m’a fait père malgré moi, je refuse toujours avec véhémence cette imposture et qu’en avoir la garde m’est un jeu de rôle extrêmement pénible.
Quelques précisions
- Nous n’avions jamais vécu ensemble et il n’en avait jamais été question.
- J’ai reconnu ma fille par un acte chez le notaire : « reconnaissance posthume », afin que si je meure elle hérite de mes biens, mais je ne l’ai pas reconnue sur l’état civil, sa mère ne m’ayant pas sommé de le faire.
- Tout en suspendant cette épée de Damoclès au dessus de ma tête, sa mère ne me réclame pas officiellement de pension. Lorsque celle ci m’a demandé de payer telle ou telle chose, je l’ai toutefois toujours fait.
- Dans toute cette histoire, mon grand tort, je crois, aura été de faire confiance : il est impensable, pensé-je qu’une personne responsable mette au monde un être humain sans avoir l’intention de lui donner un cadre familial stable, avec deux parents qui désirent un enfant. Je me trompais, manifestement, toutefois je continue de penser que dans une relation humaine, celui qui fait confiance a toujours raison, et je suis fier malgré tout d’avoir fait confiance. Sans la confiance, la vie n’est plus qu’un ramassis de formulaires administratifs, et instrumentaliser la confiance qu’on nous donne est un comportement de cloporte.
Une réflexion simple : le slogan Un enfant si je veux quand je veux avait un sens quand il s’agissait de reconnaître aux femmes leur liberté, leur intimité profonde et leurs désirs. Aujourd’hui, hors de son contexte historique, on y perçoit aussi un désir de toute puissance chez certaines femmes, sur les enfants d’abord, mais aussi sur sur les hommes que l’on peut capturer et aliéner à loisir, bien loin du souffle de liberté qui animait la révolution des mœurs des années 70. Cette formule est toujours légitime vis à vis des femmes mais je la trouve monstrueuse si elle ne s’applique pas également aux hommes.
Tout en entrant dans une situation particulièrement complexe, je suis rentré dans une sorte de normalité:je sens bien que le fait d’avoir un enfant change le regard de mes congénères : maintenant j’inquiète beaucoup moins.
La seule question qui importe, me concernant, est : comment, sans mentir, expliquer à son enfant qu’on l’aime du plus bel amour filial, mais que par dessus tout, on ne voulait pas qu’il vienne au monde, et que la relation que l’on a avec lui n’est en fait qu’un rôle d’acteur que l’on exècre totalement .
Cette situation, cette imposture, est une prison aux murs invisibles qui bouleverse, je pense n’importe quel homme que l’on définit comme père, malgré lui.
Thomas Julien
juillet 2012
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