Virginie Despentes (1969- ), la vengeuse
Virginie Despentes (1969- ), la vengeuse
née en 1969 à Nancy, origines modestes
A 17 ans, quitte ses parents, passage à Lyon (Despentes = des pentes de la Croix-Rousse) puis monte à Paris : petits boulots, prostitution, vendeuse, critique de films X, etc.
1993 : Baise-moi (le roman), un best-seller. Il met en scène deux jeunes femmes, dont l’une a été victime d’un viol, qui prennent la route pour une vie de partouzes et de tueries d’hommes.
1998 : Les Jolies Choses
2000 : Baise-moi (le film), avec Coralie Trinh Thi
2006 : King Kong Théorie, essai autobiographique
2010 : Apocalypse bébé, roman qui obtient le Prix Renaudot. Elle avait paradoxalement écrit dans King Kong (p.148) : "ce que je supporte en tant qu’écrivain femme, c’est deux fois ce qu’un homme supporte." Pourtant c’est le rêve de beaucoup d’écrivains masculins que d’obtenir le Renaudot !
Virginie Despentes se trouve au croisement de deux formes de misandries : la forme victimaire et la forme guerrière, qui prône la vengeance directe contre les hommes (elle fait penser à Andrea Dworkin, en moins rance), cette deuxième forme n’émergeant que par à coups émotionnels. Une originalité : la prostitution n’est plus considérée comme une forme de la "domination masculine", mais comme une modalité possible de la vengeance (titre d’un chapitre de King kong Theorie : "Coucher avec l’ennemi")..
Dans l’article qui suit, Marcela Iacub met en évidence de manière magistrale les méandres de cette "pensée" tortueuse et manifestement perturbée.
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En finir avec le Viol
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Contrairement à ce qui est annoncé dans la quatrième de couverture, King Kong théorie, de Virginie Despentes, n’est pas, hélas, le manifeste pour un nouveau féminisme. Il aurait été si beau, pourtant, de trouver, dans le champ de ces réflexions si monotones sur ces questions, un bel arbre aux branches audacieuses, une sorte d’OGM inquiétant et dangereux fabriqué dans le laboratoire d’un esprit libre comme une mauvaise herbe. Certes, Virginie Despentes fait dans ce petit livre une sorte d’apologie de la légalisation de la prostitution et de la libéralisation de la pornographie, ce qui n’est pas de nature à séduire le féminisme orientant, comme doctrine officielle, les politiques publiques d’aujourd’hui. Mais, outre que ces positions ont été déjà défendues à maintes reprises, même si elle prétend être la première à le faire en France, elles l’ont été d’une manière bien plus convaincante et argumentée. Son originalité consiste à les soutenir non pas à partir des principes de défense des libertés, de la neutralité éthique ou du pluralisme de l’Etat (comme l’auteur des présentes lignes, avec d’autres, l’a tenté), mais à partir du présupposé de la guerre des sexes comme horizon ultime de toute réflexion.
Ne croyez surtout pas que le mot « guerre » [des sexes] soit une sorte de métaphore dans l’esprit de Virginie Despentes. Bien au contraire, il doit être pris dans son sens le plus littéral. Car, à l’instar de beaucoup de féministes américaines, Despentes affirme sans fioritures qu’au commencement, à la base, dans la structure des relations entre les sexes, « il y a le Viol ». Ne confondez pas, je vous prie, le Viol avec les viols, ces vulgaires actes commis par quelques dépravés. Il s’agit d’une sorte d’acte constitutif de la Femme en tant que telle, que certains mâles réalisent au nom de tous sur un contingent de victimes sacrificielles.
C’est par ce crime métaphysique, originaire, instituant, qu’une créature humaine devient femme. En effet, craignant pour sa vie, elle a vécu dans le secret de son être cette humiliation d’avoir préféré continuer à vivre violée, au lieu de mourir. Le fait que, de nos jours, l’Etat s’y mêle de la manière la plus musclée ne change rien. Le fait que plus de la moitié des condamnations pour crime en France concerne les agressions sexuelles et que le viol soit puni dans les faits aussi lourdement que le meurtre n’a pour Despentes pas la moindre pertinence, aucune fonction dissuasive ni réparatrice.
La question pénale n’est pas même évoquée au coin d’une minuscule parenthèse. Pour elle, le traumatisme, l’humiliation métaphysique de la femme violée ne peut se résoudre que par un acte de vengeance d’une brutalité supérieure : la castration et le meurtre. A cette condition seulement la victime retrouve ce qu’il faut bien appeler son honneur, c’est-à-dire le respect qu’elle a pour elle-même, sa dignité. Ce tiers qu’est l’Etat ne peut rien pour elle. On retrouve ainsi dans cette théorie, comme dans d’autres sur le viol, une sorte de reprise inversée de l’ancien crime d’honneur.
VENGEANCE MÉTAPHYSIQUE
Mais ne vous affolez pas : si vous craignez de tomber dans les travers criminels des héroïnes tragiques du film Baise-moi qu’elle réalisa avec Coralie Trinh Thi, Despentes a dans son sac d’autres suggestions pour accomplir votre vengeance métaphysique. La principale est la réduction du violeur à l’état de client de prostituée. Avertie de cette issue par son propre parcours de prostituée occasionnelle, elle écrit : « La prostitution a été une étape cruciale, dans mon cas, de reconstruction après le viol. Une entreprise de dédommagement, billet après billet, de ce qui m’avait été pris par la brutalité » (p. 78). Le client de prostituée apparaît ainsi comme le mâle déchu, castré et blessé. C’est le tigre aveugle et paralytique qui nous lèche les mains, comme s’il était un petit chaton, afin qu’on lui jette quelque chose à manger. Il n’y a que les lignes dessinées dans sa peau qui fassent encore de lui un tigre, ces uniques traces de son ancienne majesté criminelle. Ainsi, elle écrit : « Mais la fragilité est surtout du côté des hommes. Comme si personne ne les avait prévenus que le Père Noël ne passera pas : dès qu’ils voient un manteau rouge ils courent en brandissant la liste des cadeaux qu’ils voudraient voir sous la cheminée. J’aime beaucoup, depuis, entendre les hommes pérorer sur la stupidité des femmes qui adorent le pouvoir, l’argent ou la célébrité : comme si c’était plus con que d’adorer des bas résille... » (p.77).
Certes, vous serez peut-être horrifié par ces propositions. Mais Despentes n’exprime-t- elle pas, au fond, dans son style « cow-boy », des hypothèses concernant les rapports entre les sexes qui hantent les problématisations courantes ? Ne nous dit-elle pas, en l’exagérant, ce que l’on croit être l’explication centrale de la domination des femmes, c’est-à-dire que la sexualité est le lieu de leur assujettissement par les mâles ? N’est-ce pas cette idée qui a animé, depuis le milieu des années 1970 jusqu’à nos jours, les luttes féministes contre les agressions sexuelles ? Peut-on reprocher à Virginie Despentes d’avoir pris ces idées au sérieux au point, simplement, d’en tirer les conséquences ? Un espoir seulement : que grâce, au dévoilement des conséquences, on se débarrasse des présupposés et qu’on puisse enfin parler de ces questions sérieusement.
Marcela Iacub
Le Monde (Le Monde des livres), n° 19190, 6 octobre 2006
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Une semaine après le massacre de Charlie Hebdo, Despentes se déchaîne et, dans un article des Inrocks, désigne les responsables, "les hommes", "la masculinité", bien sûr. Voici la conclusion :
(...)
On a tous nos obsessions. Celle de ce journaliste, c’est profiter du massacre pour retaper sur les Arabes. La mienne, c’est la masculinité. Je crois que ce régime des armes et du droit à tuer reste ce qui définit la masculinité. Je crois que ce journaliste aurait dû déclarer en préambule qu’il se dissociait formellement de la masculinité traditionnelle. Qu’il ne se sentait pas un homme. Qu’il dissociait sa masculinité de celle des assassins mexicains, norvégiens, nigérians ou français.
Parce que c’est ça, au final, ce que nous vivons depuis une semaine : les hommes nous rappellent qui commande, et comment. Avec la force, dans la terreur, et la souveraineté qui leur serait essentiellement conférée. Puisqu’ils n’enfantent pas, ils tuent. C’est ce qu’ils nous disent, à nous les femmes, quand ils veulent faire de nous des mères avant tout : vous accouchez et nous tuons. Les hommes ont le droit de tuer, c’est ce qui définit la masculinité qu’ils nous vendent comme naturelle. Et je n’ai pas entendu un seul homme se défendre de cette masculinité, pas un seul homme s’en démarquer – parce qu’au fond, toutes les discussions qu’on a sont des discussions de dentelière.
Sinon, la seule préoccupation qu’on aurait, aujourd’hui, pour imaginer un futur différent, ce serait – puisque tous les dirigeants sont là, discutons : quand et comment ferme-t-on les usines d’armement. Quand et comment en finit-on avec votre merde de masculinité, qui ne se définit que sur la terreur que vous répandez ?
Virginie Despentes : "Les hommes nous rappellent qui commande, et comment"
Les Inrocks, 17 janvier 2015
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