Infanticides à la naissance : les vrais chiffres. Anne Tursz. Le Point, 9 décembre 2010


 

[Les néonaticides : un autre type de violence quantitativement sous-estimé]

 

Infanticides à la naissance : les vrais chiffres

La seule enquête nationale montre la difficulté de recenser le nombre d’homicides du premier jour et les idées reçues sur les mères infanticides.

Il y aurait, dans notre pays, selon des données judiciaires, au moins 5,4 fois plus de néonaticides - donc d’infanticides réalisés le jour même de la naissance du bébé - que ce qu’indiquent les statistiques officielles de mortalité. Une étude réalisée par le Dr Anne Tursz et Jon M. Cook de lInserm U988 "CERMES 3", publiée en ligne dans la revue Archives of Disease in Childhood, estime leur fréquence à 2,1 pour 100.000 naissances, contre 0,39 dans les statistiques officielles. Explications de la pédiatre*.

Le Point.fr : Cette sous-estimation vous a-t-elle surprise ?

Dr Anne Tursz : Non. Nous avions déjà mis en évidence ce phénomène en 2005, lors de notre travail sur les infanticides (homicides chez les nourrissons de moins d’un an). On manquait de données concernant les néonaticides et elles sont très difficiles à obtenir. Bon nombre de cas sont découverts dans des sacs-poubelle et les familles ne sont jamais retrouvées. Et on ne sait pas combien passent inaperçus... Pour en savoir plus, nous avons mené la première étude sur ce problème en analysant les dossiers judiciaires de trois régions françaises (Bretagne, Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais) sur une période de cinq ans (1996-2000). Les 27 cas découverts (dont 9 où la mère n’a jamais été retrouvée) nous ont permis de confirmer la sous-estimation de ce type de maltraitance

Quel est le profil des femmes qui passent à l’acte ?

Celles qui ont été identifiées étaient âgées de 26 ans en moyenne. Une fois sur trois, elles avaient déjà au moins 3 enfants et aucune n’avait recours à la contraception. La moitié d’entre elles vivaient avec le père de l’enfant, et les deux tiers exerçaient une activité professionnelle. Leur catégorie socioprofessionnelle ne différait d’ailleurs pas de celle des femmes de la population générale. Côté psychologique, les enquêtes montrent qu’elles avaient peu confiance en elles, qu’elles présentaient une certaine immaturité, des carences affectives, une forte dépendance à l’autre, voire une peur extrême de l’abandon. Mais elles ne souffraient pas de maladies mentales caractérisées et leur discernement n’était pas aboli ni altéré au moment des faits.

Ces femmes étaient-elles toujours dans le déni de grossesse ?

Non, aucune ne l’était dans notre étude. Contrairement à ce que peuvent laisser croire certains faits divers récents, l’association entre déni de grossesse et infanticide semble rarissime. En revanche, toutes ces femmes ont caché leur état à leur entourage. Et elles ont toujours répondu par la négative à la question "tu ne serais pas enceinte ?" posée par leur mari, leurs proches ou leurs collègues de travail. Malgré l’évidence (sauf chez les obèses dont les grossesses peuvent passer inaperçues), tout le monde s’est contenté de cette dénégation. Ces femmes ont donc vécu un véritable enfer, un isolement moral absolu et elles n’avaient pas d’autre solution que l’infanticide pour sortir de ce piège.

Comment prévenir, autant que faire se peut, ce genre de drame ?

Il faut que ce problème soit connu, en particulier des médecins généralistes. Nous allons d’ailleurs préparer un dossier à leur intention pour les aider à s’intéresser davantage à ces femmes assez timides et qui donnent toujours la priorité aux autres. Globalement, ils doivent plus souvent aborder les sujets concernant la reproduction et la contraception avec leurs patientes. D’autre part, nos travaux ont déjà contribué à changer l’image de ces personnes et les faits divers le confirment régulièrement : il ne s’agit pas de femmes très jeunes, pauvres et paumées. Les cas de néonaticide ne sont pas des "drames du quart-monde", comme c’est encore trop souvent dit. Il ne faut donc pas se tromper de cible pour les actions de prévention.

* Les oubliés, enfants maltraités en France et par la France, éditions du Seuil, mars 2010

Le Point.fr

09/12/2010

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