La jeunesse confisquée de six lycéens condamnés à tort. Libération, 13 avril 2009


 

 

[Encore une affaire hallucinante, digne d’Outreau, qui a duré cinq ans, de 2003 à 2009. Entre autres extravagances :.

- elle se situe dans l’Education nationale, mais est atypique par rapport à ce milieu : habituellement, ce sont des élèves qui accusent des profs ; ici c’est une agent de service adulte qui accuse de (grands) élèves. Manifestement, cette mythomane s’est inspirée du "modèle" fourni par des élèves accusateurs, d’autant plus que ceux-ci s’en sortent habituellement en toute impunité

 

la fausse accusatrice n’en était pas à son coup d’essai : elle avait déjà joué le même jeu dix ans plus tôt, provoquant un premier désastre, l’emprisonnement préventif de vingt-deux mois de sa cible innocente ! Mais la « Justice » l’ignorait, c’est la défense qui a apporté cette info grâce au travail d’un détective privé ! A quand un fichier national des fausses accusatrices ?

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- la complicité active du proviseur (qui propose à l’accusatrice des identités de violeurs !), de la commissaire de police (qui obtient des aveux par la peur), de l’experte-psychiatre (qui diagnostique des symptômes joués). Ces gens ont-ils parfois conscience de ce qu’ils font ?]
 
 
La jeunesse confisquée de six lycéens condamnés à tort
 
Procès. Six ans après les faits, des jeunes accusés de viol ont été acquittés en appel.
Soudés jusqu’au bout, ils savourent leur acquittement autour d’un thé et de pâtisseries orientales. Anis, Jamel, Adile et Jillali se sont donné rendez-vous dans le salon des parents de Mohamed pour « fêter ça » avec quelques proches. Seul Zohir n’est pas là. Jeudi soir, au terme de leur procès en appel devant la cour d’assises des mineurs de Dijon, ces six anciens lycéens de Mâcon ont été blanchis des accusations de viol en réunion sur une femme de ménage de leur établissement.
 
Liste. Ils étaient poursuivis depuis mai 2004. Pourtant, la veille, l’avocate générale avait requis de huit à douze ans de prison ferme contre eux. « C’est un cauchemar de cinq ans qui vient de prendre fin », résume Mohamed, solide gaillard de 23 ans, qui a perdu une partie de la vue et pris quelques cheveux blancs en détention provisoire. L’affaire éclate à l’automne 2003. Stéphanie C. (1), agent d’entretien au lycée Alexandre-Dumaine de Mâcon, se plaint auprès du proviseur de l’établissement d’avoir été rackettée sous la menace d’un couteau par un groupe de lycéens. A l’issue d’un conseil de discipline, Mohamed et Zohir sont exclus. Stéphanie n’a pas tout dit. Trois mois plus tard, elle envoie une lettre au procureur de Mâcon. Elle affirme avoir été violée à deux reprises, dans les toilettes et les vestiaires du personnel de l’établissement. Elle ne donne pas de nom. Le proviseur l’aide à choisir ses violeurs : il lui suggère une liste de noms parmi les élèves perturbateurs du lycée. Elle en désigne huit. Sept sont finalement placés en garde à vue. Zohir avoue devant une policière au ton musclé, puis se rétracte devant une éducatrice. Les autres clament leur innocence. Ils sont mis en examen, les trois majeurs placés en détention provisoire.« Ils voulaient nous inculper, ils nous ont inculpés », se souvient Anis. « La détention de Jillali, on a vécu ça presque comme un décès », souffle Rabiba, dont le frère a été incarcéré pendant trois mois à la maison d’arrêt de Dijon.
 
Failles. A l’automne 2008, ce sont finalement six lycéens qui comparaissent libres devant la cour d’assises des mineurs de Chalon-sur-Saône. Ils veulent croire à l’acquittement. Ils sont condamnés à des peines étonnamment légères pour les faits reprochés : de un an à trois ans de prison ferme, mais sans mandat de dépôt. « Une peine comme la mienne, un violeur l’aurait admise, raconte Mohamed, qui a écopé d’un an ferme. Mais un innocent, non ! » Tous font appel. Devant la cour d’assises d’appel des mineurs de Dijon, début avril, Stéphanie maintient sa version. Une experte-psychiatre la déclare « crédible », atteinte de tous les symptômes des victimes d’agression sexuelle. Mais le procès, minutieux, révèle les failles de l’enquête : aucun des 300 élèves du lycée Dumaine n’a été interrogé en tant que témoin, aucune reconstitution n’a eu lieu pendant l’instruction. Pas de témoin du viol, pas de preuve matérielle non plus. Restent les aveux de Zohir. Ils ont été enregistrés car il était mineur à l’époque. La vidéo est projetée à l’audience. « La cour a vu un adolescent apeuré, dans l’incompréhension totale, face à une policière qui lui criait dessus quand ses réponses ne correspondaient pas à ce qu’elle voulait entendre, raconte Souhila, la sœur de Mohamed. Elle faisait les questions et les réponses. » Avant son audition, un policier avait fait comprendre à Zohir qu’avouer lui éviterait la prison. « Ces aveux, clairement extorqués, révèlent les méthodes invraisemblables du commissariat de Mâcon de l’époque, commente Me Jacques Debray, l’un des avocats de la défense. Malheureusement, la culture de l’aveu persiste encore dans la justice de notre pays. »
 
Le parcours de Stéphanie a peut-être aussi pesé sur le verdict de la cour. En 1991, elle avait déjà accusé de viol un jeune collègue, employé de cuisine dans un lycée de l’Ain. Après vingt-deux mois de détention préventive, il avait été acquitté.
 
Amertume. Stéphanie, psychologiquement fragile, n’avait suivi aucune thérapie à l’issue du procès. En 2006, une plainte pour agression sexuelle à la gare de Mâcon a été classée sans suite. « Cette femme a peut-être fini par croire tout ce qu’elle a inventé », soupire Me Debray. L’acquittement est cependant teinté d’amertume pour les six anciens lycéens. « Elle a gâché nos vies pendant six ans, on a perdu les plus belles années de notre vie », lâche Anis. Il poursuit : « Comment se relever de ça ? Aujourd’hui, je n’ai pas de travail, pas de diplôme, rien. Je suis rien pour la société. » Adile, lui aussi, rumine sa condamnation pour extorsion de fonds à l’encontre de l’accusatrice (deux autres de ses camarades ont également écopé d’une peine de prison avec sursis pour le même motif) : « Même ça, l’accusation n’a pas pu le prouver. Soit on la croit totalement, soit on ne la croit pas du tout. On fera casser cette décision. » Mohamed veut tourner la page, « trouver du boulot, se marier, faire des enfants, une vie saine, quoi ».
 
Sur la table du salon familial s’étalent les coupures de presse relatant le procès. Nourredine, le frère aîné de Mohamed, jette un œil dessus et promet : « Un jour, on écrira un livre sur toute cette histoire. »
 
(1) Le prénom a été modifié.
 
Lyon, correspondance Alexis de la Fontaine
 
Libération, le 13 avril 2009
 
 


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