Claes, un mec plus ultra. Libération, 7 février 2009
[Le congé parental suédois : seize mois pour le couple, dont deux pour le père]
Claes, un mec plus ultra
Stockholm, envoyée spéciale Charlotte Rotman
Egalité des sexes, conciliation entre la vie familiale et professionnelle, éducation des enfants : c’est toujours le « modèle suédois » que la France convoque quand elle espère faire mieux. Il fallait aller y voir de plus près.
Il accueille, son bébé sous le bras, tout sourire dans sa maison en bois typique de la banlieue de Stockholm. Au rez-de-chaussée, du linge sèche dans la buanderie. En chemise à rayures, petit pull ras du cou, jean et chaussettes (comme il se doit dans les intérieurs suédois), Claes a un look sage, presque strict avec ses lunettes. Pas le genre à se laisser aller en survêt dégoulinant. « Un café ? » Il prépare des tasses, dans une cuisine impeccable. Seul le quotidien du jour traîne. Claes Johansson, 38 ans, consultant en management, est en congé parental pour dix mois. Il reprendra le travail le 1er septembre. Il est ce mâle suédois qui ne rechigne ni à faire la vaisselle ni à donner le biberon, mais aime aussi la chasse et le patin à glace.
Culpabilité. Ses gestes sont lents et paisibles. On voit bien qu’ici le temps s’écoule autrement. Même la neige tombe au ralenti. Il pose Flora, sa fille de 10 mois, sur le tapis. Et la couve de l’œil en balançant, très sûr de lui :« Ce qui compte, ce n’est pas la qualité du temps qu’on passe avec son enfant, mais la quantité. » Là, il y a de quoi faire basculer dans la culpabilité un bon nombre de parents français débordés de travail qui rattrapent les heures comme ils peuvent. Lui explique que sa vie est « formidable ».« Je fais la cuisine, je lave le linge, je nettoie. Et, entre-temps, je vais chercher Harry, mon fils de 5 ans, à l’école. » Il ajoute : « Honnêtement, je suis plus fatigué qu’avant, quand je travaillais. » On ose lui demander s’il ne s’ennuie pas. Dix mois au foyer, c’est long. Il lance alors un regard plein de compassion (ou de pitié ?) avant de répondre : « Aucune de mes journées ne se ressemble. Je vais au musée avec Flora. Le matin, on va au parc, je rejoins d’autres pères en congé avec leurs bébés. Et, quand on se voit, on ne parle pas des enfants. » Ce sont souvent des hommes diplômés, avec de bons postes.
Le café est prêt. On s’installe dans le salon. Sur une table, on aperçoit un ordinateur portable recouvert d’une fine couche de poussière. « Je ne regarde pas mes mails, je me déconnecte complètement. Je profite pleinement d’être à la maison. Dix mois dans une carrière, ce n’est rien. » Claes est d’autant plus
enthousiaste qu’il ne s’était pas arrêté de travailler pour son premier enfant. Et le regrette. « Je pense que je faisais passer le travail d’abord. » Il aime être avec sa fille et tisser avec elle des « liens très profonds ». « On dit qu’un enfant doit être avec sa mère mais, quand ma fille pleure, c’est moi qu’elle cherche, pas sa mère », dit-il avec une pointe de fierté. C’est lui qui amènera Flora à la crèche cet été, annonce-t-il en lui caressant les cheveux.
La répartition des tâches s’est faite tout « naturellement ». « On n’en a jamais discuté, Isabelle et moi. On a un partage équitable. On va chacun chercher notre fils à l’école. On le garde à tour de rôle quand il est malade. » Pas de dispute ? Pas d’engueulade sur les tâches ménagères ? Allez, même Michelle Obama a reproché à Barack de laisser traîner ses chaussettes sales. « Sûrement », concède-t-il, mais on a l’impression que c’est pour être poli. D’ailleurs, il n’a aucun exemple à fournir. « Je ne suis pas le Monsieur Propre qui nettoie tout », s’excuse-t-il presque. Isabelle a un poste de comptable dans un grand groupe, très bien payé. Elle n’a pris que six mois de congé, le temps d’allaiter. « Depuis que je suis à la maison, on se comprend encore mieux. Je sais ce qu’elle ressentait quand elle était en congé, elle sait comment je vis. Cela nous rapproche. »
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Claes n’a pas tremblé quand il a annoncé à son patron qu’il partait pour dix mois. « Mon employeur n’était pas content, mais il a dû accepter. C’est un droit. » Il n’a pas l’ombre d’une inquiétude pour son poste. Il touche le plafond de 2 800 euros par mois de congé parental (lire ci-dessous). Plus 1 000 euros pendant six mois fournis par son entreprise. Claes se lance dans un grand discours sur les bienfaits de ce congé… y compris pour le boulot : « Je gère mieux le stress, je suis devenu un maître de l’improvisation, je dois trouver très vite des solutions, et j’ai développé des talents de diplomatie. Tout cela me servira quand je reviendrai travailler. »
Potes. Les tasses à café sont vides. Installée sur ses genoux, sa fille lui tord le lobe de l’oreille. Il ne dit pas un mot, mais un seul regard suffit à la faire cesser. Ce week-end, Claes ne sera plus un père au foyer. Il a rendez-vous avec des potes, pour aller chasser l’élan.
Libération, 7 février 7-2-2009
[dossier : La parité à la suédoise (5/5) Papa biberonne]
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Encadré : Seize mois de congé parental
Très généreux, mais pas toujours égalitaire, le congé parental en Suède. Il peut s’étaler sur seize mois au total pour un couple, soit 480 jours dont 390 payés à 80 % du salaire, avec un plafond de 2 800 euros mensuels. Deux mois sont réservés au père. Seuls 22 % des hommes restent à la maison au-delà de cette période. Aujourd’hui, certains voudraient aller encore plus loin et instaurer un quota : un tiers pour la mère, un tiers pour le père, un tiers à se partager.
Extrait d’un article (« Ne plus nier la vie de famille des salariés) du même dossier consistant en un interview d’un médiateur travaillant pour l’équivalent suédois de la Halde :
- La loi a introduit un critère de discrimination lié à la famille. Avez-vous des cas relatifs au congé parental ?
- Oui, en fait c’est un droit qui crée des conditions moins favorables pour les femmes sur le marché du travail : elles restent plus longtemps que les hommes à la maison, donc seront moins qualifiées, moins payées. Et dans les faits, les employeurs préfèrent souvent les hommes. Mais certains pères sont eux aussi concernés par la discrimination, à cause de ce congé parental. Ce n’est pas une différence de traitement liée au sexe. Il a donc fallu changer la loi pour protéger les pères, comme ce mécanicien qui voulait devenir chef d’équipe mais à qui son employeur a rétorqué : « Tu viens de devenir père, tu vas prendre ton congé. » L’employeur a ensuite réalisé qu’on ne pouvait plus penser comme ça et nier la vie de famille des salariés. Le mécanicien, lui, a changé d’employeur. Aujourd’hui, 25 % des plaintes concernant le congé parental proviennent d’hommes.
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