Ces pères qui sont aux anges. Libération, 30 novembre 2005


 

Le succès du congé paternité se confirme, surtout auprès des trentenaires.

 Ces pères qui sont aux anges

Une avalanche de douceurs, un bonheur béat, et peu de mots pour le dire. Le congé paternité met certains hommes dans tous leurs états : « C’était trop court, l’une des plus belles périodes de ma vie. » « Je voulais être là dès la naissance de mon bébé. » « C’était une évidence. »

Voilà, en tout cas, un typique trentenaire : heureux d’être père, décomplexé face à son absence prolongée du travail et prêt à tout pour donner le biberon. Il est l’un des 369 000 pères qui ont pris un congé paternité en 2004, pour une durée moyenne de 10,8 jours. Près des deux tiers des pères interrogés par une enquête nationale de la Drees (1) ont ainsi profité de ce nouveau droit, mis en place par Ségolène Royal en 2002. C’est un véritable plébiscite, surtout chez les trentenaires.

De fait, les pères les plus jeunes ont recours plus fréquemment à ces jours de pouponnage officiel. C’est le cas de 73 % des 30-34 ans. Avant et après cette tranche d’âge, la proportion baisse. Avant 30 ans, cela concerne 68 % des pères, certainement à cause d’une plus grande instabilité de l’emploi. Chez les plus âgés, seulement 58 % des 35 ans et plus. Le manque à gagner lié à des rémunérations plus élevées et la pression professionnelle accrue au cours de la carrière freinent les désirs de dorloter son nouveau-né. Cependant, même à caractéristiques égales, notamment professionnelles, la probabilité de recours à ces congés reste plus faible chez les pères qui ont dépassé 35 ans.

Effet de génération. Il y a donc bien un effet de génération. « Les pères âgés de plus de 35 ans apparaissent moins désireux que les autres de construire au plus tôt une relation de proximité avec le nouveau-né », note l’étude.Les profils professionnels comptent tout de même. Au-dessous de 1 000 euros, les actifs occupés sont moins nombreux à user de ce droit, et cela par manque d’information. De même, les indépendants (qu’ils soient agriculteurs, artisans, commerçants), en raison de leurs lourdes charges et de leur difficulté à se faire remplacer. Le simple fait d’être cadre diminue de 14 % la possibilité de prendre ce congé. En revanche, être ouvrier l’augmente de 5 %. Enfin, 84 % des pères prennent ces jours quand ils occupent un poste stable dans le secteur public. Quant à ceux qui n’ont pas voulu bénéficier de cette parenthèse, leur choix reflète « à la fois une plus forte implication professionnelle, choisie ou subie, et une vision des rôles parentaux selon laquelle les soins à donner aux jeunes enfants seraient essentiellement dévolus à la mère ».

Implication réelle. L’intérêt des trentenaires pour le congé paternité confirme ce que la sociologue spécialiste de la paternité, Christine Castelain Meunier, appelle la « naissance d’une conscience paternelle » (2). Cette nouvelle façon d’être père se voit dans leur souci de combiner leur vie professionnelle et l’éducation de leur enfant  : par exemple, dans leur choix de ne pas rester trop tard au travail. Ou encore dans la volonté de construire une relation avec l’enfant, y compris quand il est tout petit. « Ce qui est très nouveau, c’est l’implication réelle de l’homme au moment de la décision de faire un enfant, pendant la grossesse et les échographies, et lors de l’accouchement (80 % des pères y assistent). »

Cette paternité portée par des hommes jeunes s’invente tous les jours. « Ce ne sont pas des papas poules, selon la sociologue. Ni des mères bis, comme le clament les anciennes générations qui n’acceptent pas, elles, que la paternité ait changé. »

(1) Denise Bauer, Sophie Penet, « Le congé de paternité », dans Etudes et résultats, n° 442, novembre 2005. Publié par la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques (Drees).

(2) Christine Castelain Meunier : Les Métamorphoses du masculin, PUF, 2005.

Charlotte Rotman

Libération, 30 novembre 2005

http://www.liberation.fr/page.php?Article=341389

 

 
 



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