Parité blues. Libération, 7 mars 2008


[Sept ans après la loi sur la parité, nombre d’analystes déplorent la faible augmentation de la représentation féminine dans les diverses assemblées, et l’attribuent bien sûr à la résistance des méchants hommes, acharnés à conserver leurs "privilèges". L’article qui suit fait émerger une autre explication, beaucoup plus plausible : les élues ont découvert la dureté de la gestion politique au quotidien, la nécessité de sacrifier une grande partie de leur vie familiale, professionnelle, et de leurs loisirs, la faiblesse ou l’absence de contreparties financières, de reconnaissance, etc. ...et elles renoncent. Comme ont renoncé avant elles ou renoncent désormais de nombreux hommes, conseillers municipaux ou maires de villes petites ou moyennes.
 
La raison principale de la stagnation paritaire pourrait donc être la suivante : après avoir été confrontées aux conditions réelles de la gestion politique, beaucoup de femmes (et en tous cas plus que d’hommes dans la même situation) choisissent de privilégier leur vie personnelle.
 
La loi de 2000, qui est déjà discriminatoire au sens où dans un certain nombre de cas elle fait passer devant des hommes compétents et motivés des femmes moins compétentes et moins motivées, semble de plus contre-productive, puisqu’elle dissuade définitivement certaines femmes de s’engager dès après la première expérience]
 
 
 
Parité blues
 
Les femmes entrées en politique grâce à la loi de juin 2000 déchantent aujourd’hui. Elles n’ont obtenu que peu de postes de pouvoir dans les mairies.
 
Sept ans, ça suffit ! Ou le spleen des paritaires, ces femmes entrées en politique en 2001, date de la première application de la loi sur la parité, votée en juin 2000. Néophytes, elles se sont engagées lors des dernières municipales, ont pris des responsabilités, sont parfois devenues adjointes… Aujourd’hui éreintées, laminées, elles ont le blues. Certaines jettent l’éponge. A la veille de la journée de la femme, à deux jours des élections municipales, plongée dans l’envers du décor de la parité.
 
« Le sentiment très répandu est celui du découragement, de l’épuisement, de ne pas être appuyée dans sa vie professionnelle », résume Michel Bozon, sociologue à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Associé à l’Observatoire de la parité (1), il a constaté que de nombreuses élues « ont tendance à ne pas se représenter ». L’ancienne déléguée aux femmes à l’UMP Bérengère Poletti en a elle aussi fait les frais quand elle a constitué sa liste pour les municipales à Charleville-Mézières : « Je suis allée trouver des femmes très impliquées qui ont tenu leur rôle politique. Mais quand je les ai sollicitées à nouveau, elles m’ont dit qu’elles préféraient leur vie personnelle. » « La loi sur la parité permet aux femmes d’être présentes, mais cela ne suffit pas, constate l’UMP Marie-Jo Zimmermann, à la tête de la délégation droits des femmes à l’Assemblée.Souvent simples conseillères municipales, elles ne se sentent pas réellement intégrées à la prise de décision, pas utiles, et de nombreuses abandonnent. »
 
« L’épuisement »
 
Arlette Zilberg est adjointe verte à la mairie du XXe arrondissement de Paris, chargée de la petite enfance et du bureau des temps. Elle parle après sept ans d’un « épuisement total ». « Je suis arrivée pleine d’enthousiasme, j’ai d’abord découvert la violence des relations en milieu politique, c’était très difficile à vivre. Tous les matins, je pensais à démissionner. » Arlette Zilberg fait partie de cette génération de femmes, très souvent issues de la société civile, que les partis sont allés chercher au moment de la parité. « Il y avait une chance à Paris de balayer l’équipe Tiberi. Je me suis mis les mains dans le cambouis. » Orthophoniste en libéral, elle a réduit de cinq à deux jours ses consultations, « pour bien faire [son] boulot à la mairie ». Les trois jours restants, elle carbure, sans compter les réunions le samedi ou le soir, ou encore les conseils de quartier, en soirée aussi. Elle essaie de se préserver le mercredi : « On déjeune en famille, c’est le rendez-vous du steak-frites. » Un jour, une réunion du bureau de la majorité municipale prévue le mercredi est annulée. Personne ne pense à la prévenir. Elle hurle : « Si ça continue comme ça, il n’y aura plus que des retraités parmi les élus. » « Pour moi, le mercredi c’est sacré, mais personne ne fait attention à ça, à la vie familiale. » « Le temps n’est pas extensible, ce sont les femmes qui le savent le mieux. Et pour une élue, c’est encore pire », analyse Michel Bozon.
 
Arlette a trois enfants. Le plus âgé à 20 ans. « Ils ne vont pas rester à la maison jusqu’à 35 ans. » Payer un studio, aider à être autonome, tout cela coûte cher : en passant à mi-temps, elle a perdu 1 500 euros par mois que ses indemnités ne comblent pas. Au bout d’un mandat, elle n’était « pas prête à recommencer dans les mêmes conditions ».
 
Un mandat, ça suffit
 
Muriel Boin, adjointe Modem à la santé publique, l’hygiène et les personnes handicapées à la mairie d’Orléans, avait envie de se lancer, dès 2000. « En 2001, je n’ai pas eu l’impression de servir à combler les listes. Je n’ai pas été démarchée, j’avais une motivation initiale. Après, la parité a facilité ma présence sur la liste. » A l’époque, Muriel Boin, médecin avec un poste à responsabilité qu’elle refuse d’abandonner, a 36 ans et trois enfants de 12, 10 et 7 ans. Elle se présente. « Je me disais : "Si je n’y vais pas, qui ira ?" » Elle le fait en accord avec son mari. « Cela ne peut être qu’un projet de couple. » Depuis, Muriel Boin a divorcé. « Il faut être très organisée, tout planifier, cuisiner trois jours à l’avance, que le frigo soit plein, si jamais on a du retard. » « Quand j’étais en réunion le soir, mes gamins, eux, ils m’attendaient pour dîner. » Ses enfants sont « fiers », dit-elle.
 
Sa fille l’aide quand il faut dépouiller, mais Muriel a l’impression d’avoir « donné sept ans de [sa] vie ». » Et cela lui suffit. « Je me suis beaucoup investie, mais finalement, je n’étais pas là où se prenaient les décisions importantes. » Elle n’a pas d’amertume : « C’était une bonne expérience humaine et citoyenne », même si en tant que jeune et femme et adjointe, elle s’est sentie comme « une extraterrestre » à la mairie. Elle va enfin retrouver « le temps de peindre, de rester le week-end en jean crado, sans [se] dire "vite une AG, vite un mariage" ». Rien qu’à l’idée de ne pas repiquer pour un second mandat, Muriel ressent « un poids en moins ». Comme « un souffle d’air ».
 
Beaucoup de conditions
 
Faut-il être retraitée pour s’engager ? Geneviève Vassal, heureuse adjointe divers droite (DVD) à Toulouse depuis 2001, l’explique très bien : « A 71 ans, j’étais libre pour m’engager. Mes enfants étaient mariés. Il y a vingt ans, je ne sais pas si j’aurais dit oui, confie-t-elle. Sauf à accepter une petite délégation ; mais alors, c’est difficile de prendre toute sa place. » En tout cas, il est préférable (indispensable ?) d’être soutenue par la personne avec qui l’on vit. Bérengère Poletti (UMP) : « Il faut un mari autonome qui fait les courses. Peut-être que les conjointes supportent plus que les conjoints. » Geneviève Couraud, déléguée à la parité au PS, prétend avoir décelé des modèles différents entre la droite et la gauche, davantage pourvoyeuse de conjoints modernes prêts à partager les tâches.
 
Jocelyne Bougeard, adjointe socialiste à Rennes, est un pur produit de la parité. « Je n’étais pas une militante PS depuis mes 17 ans, mais j’avais un engagement associatif et professionnel dans l’éducatif. » En 2001, ses enfants avaient 20 et 13 ans, assez pour la déculpabiliser de sa « perte de disponibilité ». Elle parle aussi de « fatigue physique », de « dureté de l’exercice », de « réorganisation de la logistique » domestique, de sa carrière professionnelle qu’elle a « négligée », de « revenus moindres ». Mais elle reste engagée. Elle dit aussi avoir la chance de travailler dans une « équipe paritaire », avec un maire (Edmond Hervé, qui ne se représente pas) absolument « convaincu » et « volontaire ». Mais elle reconnaît que la plupart du temps il n’y a pas de femmes adjointes aux transports, aux finances, ou à l’urbanisme, alors qu’on trouve peu d’hommes à la petite enfance ou à l’action sociale. « Il faut diversifier les délégations. Certaines sont comme réservées aux hommes, reconnaît la socialiste Geneviève Couraud. « On se bagarre en interne, on le dit, on le redit, on le répète. »
 
Pas de prime à la sortante
 
On parle souvent de prime au sortant. C’est loin d’être aussi vrai pour les sortantes. Anne Nègre, conseillère municipale à Versailles, secrétaire nationale à l’égalité des femmes et des hommes au PRG, le voit : « Dans les petits partis, c’est encore plus flagrant. Les femmes ont souvent été éliminées. Beaucoup de sortantes m’ont appelée car elles n’avaient pas été réinvesties. Vous vous faites des inimitiés dès que vous commencez à exister. Le pouvoir reste masculin et machiste. »
 
La nécessité d’un statut
 
Tout cela fragilise l’engagement des femmes dans la durée. « Il est difficile de stabiliser le vivier », constate Marie-Jo Zimmermann, qui rappelle qu’il faut « instaurer un véritable statut de l’élu ». « C’est la condition matérielle de l’engagement et du succès de la parité. Il faut prendre en compte l’engagement dans la vie professionnelle, aménager les conditions du temps de travail, impliquer le secteur privé », explique aussi le sociologue Michel Bozon. Sinon, les femmes qui se lancent en politique continueront à jeter l’éponge.
 
(1) Dont le dernier rapport, intitulé « L’odyssée paritaire », est paru le 23 janvier.
 
Charlotte Rotman
 
Libération, 7 mars 2008



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