Dormez bien, Mesdames Rousseau, Asselin, Faubert et Boissinot disent que j’invente. Serge Ferrand, 2005


Lettre ouverte à mesdames Lise Rousseau (Présidente de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec), Michèle Asselin (Présidente de la Fédération des femmes du Québec ), Francine Faubert (Présidente de la Fédération québécoise des organismes communautaires famille) et Lyne Boissonnot (Présidente du Regroupement des centres de femmes du Québec)
 
Réponse à l’article du Devoir, « La Machine à broyer les solidarités... », paru sous la chronique Libre opinion du vendredi 11 février 2005
 
Par Serge Ferrand,auteur et réalisateur de La machine à broyer les hommes, diffusé le mardi 8 février 2005 à Enjeux, SRC
 
Dormez bien, Mesdames Rousseau, Asselin, Faubert et Boissinot disent que j’invente
 
Mesdames Lise Rousseau, Michèle Asselin, Francine Faubert et Lyne Boissinot écrivent dans leur texte « La machine à broyer les solidarités... » ( Devoir, 11 février 2005) que seulement 35% de tous les cas de ruptures font l’objet d’un jugement et que de ce nombre seulement 15% exigent qu’un juge ait à trancher. Ces chiffres viennent en grande partie des recherches de Madame Céline LeBourdais (INRS*) et de Madame Renée Joyal (UQAM)
 
Dans son étude de décembre 2002, « Le rôle des tribunaux dans la prise en charge des enfants après le divorce », l’avocate et chercheure Madame Renée Joyal nous dit en page 15 de son rapport : « Un dossier judiciaire peut donc être rouvert malgré l’existence d’un jugement définitif. Pour faciliter la collecte des données, nous avons dû limiter le dépouillement des informations au premier et au dernier jugement retracés dans le dossier. Il y a donc lieu de signaler que dès qu’il existe plus de deux jugements dans un dossier, il est possible qu’entre le premier et le dernier jugements observés se soient produits des événements tel un changement de garde, qui n’apparaissent pas dans les données dépouillées. »
 
En clair, Madame Joyal a calculé les consentements au premier jugement et elle n’a pas suivi tout le dossier. Elle arrive ainsi à seulement 15,2 % de séparations litigieuses. Et encore là, personne ne connaît vraiment le chiffre des séparations au Québec. Tout ce qu’on sait d’après les études de Madame Céline LeBourdais (INRS) c’est qu’il y a 20 000 mariages pour 16500 divorces chaque année au Québec et que chez les conjoints de fait (les plus nombreux au Québec) les séparations sont cinq fois plus importantes. Bref, un couple sur deux se sépare.
J’ai voulu savoir si tout était beau au Québec et que seulement 15,2% des séparations étaient litigieuses. Je suis allé dans les ministères et sur le terrain. Voici ce que j’ai trouvé pour le Québec en 2003 :
 
Total des dossiers ouverts au civil : 63 438
Dossiers ouverts en matrimonial : 32 594
Sur 20 000 avocats, 12 000 pratiquent le droit familial
 
Je me suis rendu aux Palais de Justice de Montréal, de Sherbrooke et de Québec. J’ai fait des copies des rôles dans les salles d’audience et j’ai calculé pour chacun des Palais de Justice une moyenne de 150 à 200 causes jugées ou présentées au rôle chaque jour d’audiences. À 1500 $ le passage en cour pour chaque cas, ça fait combien ?
 
Trois intervenants m’ont expliqué comment ça se passait. L’avocat de monsieur lui dit : « Voilà, signe ton consentement. J’ai négocié dur pour toi et c’est le mieux qu’on puisse faire. Si tu refuses de signer, ça va te coûter dix ou vingt mille de plus et tu risques de tout perdre. » Le gars signe. Plusieurs mois plus tard ce père qui déjeunait avec ses enfants, qui les accompagnait à leur cour de musique ou de hockey, il ne les voit plus qu’une semaine sur deux, et il ne sait plus ce qu’ils deviennent. Lui qui croyait que ça allait s’arranger, il s’aperçoit qu’il s’est fait avoir et il retourne au tribunal. Le plus souvent sans avocat parce qu’il n’a plus d’argent. Voilà ce qu’on voit sur le terrain. La quasi totalité des cas litigieux que j’ai suivis avaient eu un consentement au départ.
 
En ce qui concerne la garde partagée, le juge de la Cour Supérieure Jean-Pierre Senécal le dit dans mon documentaire, ce sont les pères qui la demandent. C’est vérifié par Madame Renée Joyal qui écrit dans son rapport : « Ce qui retient d’abord l’attention, c’est que lorsque le jugement fait explicitement état des demandes respectives du père et de la mère, les pères demandent la garde partagée beaucoup plus fréquemment que les mères. [...] S’il est impossible d’en tirer des conclusions générales, nous ne pouvons toutefois manquer d’observer l’absence d’intérêt des mères dans ce contexte particulier de la garde partagée. »
 
Et pourquoi la demanderaient-elles puisqu’elles savent que dans 80% des cas, elles auront la garde complète avec la pension et souvent le domicile conjugal ? Quant à la médiation, comment faire entendre raison à deux personnes qui veulent « se tuer » et dont l’une sait pertinemment qu’elle part avec 80% d’avance ? Heureusement, aujourd’hui, des programmes comme Tournesol, familles en mouvement, proposent une thérapie aux couples afin qu’ils fassent le deuil de leur relation avant d’arriver une médiation qui prend tout son sens alors.
 
Mesdames Michèle Asselin, Francine Faubert et Lyne Boissinot citent Madame Claire l’Heureux-Dubé, juge retraitée de la Cour Suprême qui a déclaré en commission parlementaire, le 2 février dernier : « J’ai été 30 ans dans la magistrature et je n’ai jamais vu un juge avoir un préjugé quelconque en cette matière. » Madame Claire l’Heureux-Dubé donnait sa vision du père dans le jugement Young contre Young en 1992, puis de Moge contre Moge. Elle disait en parlant du père : « Le rôle du parent visiteur est celui d’un observateur privilégié qui, dans un rôle secondaire, apporte amour et soutien à l’enfant. » Le 12 septembre 2003, j’ai rencontré Madame L’Heureux-Dubé à la Maison de Justice de Québec ; elle n’avait toujours pas changé d’avis. Elle a donc jugé pendant trente ans des cas de litiges familiaux dans cette optique. Au lecteur de juger à son tour.
 
Quant au fait qu’il n’y pas de point de vue de mères dans mon documentaire, ça fait vingt ans qu’on connaît les problèmes des femmes et je n’ai jamais vu un homme interrogé dans ces documents. S’en est-on offusqué ? Pour la première fois en vingt ans, un homme présente les problèmes auxquels les hommes font face. Pour la première fois des hommes à qui on reproche de ne pas parler, parlent. Et on est toujours pas content.
 
Des femmes, il y en dans mon documentaire : Madame Francine Leduc, travailleuse sociale et psychothérapeute, Madame Sylvie Piché de la DPJ, le sergent Micheline Bourret, Madame Lise Bilodeau, présidente de l’Action des nouvelles conjointes et une nouvelle conjointe qui nous avoue l’enfer que l’ex de son nouveau conjoint leur fait endurer. Si seulement les documentaires que j’ai vus sur les femmes avaient eu la même honnêteté. Que ces nouvelles conjointes aient senti la nécessité de se regrouper est d’ailleurs un aveu de l’impuissance de ces hommes à s’exprimer ouvertement, à trouver de l’aide. Ce sont les femmes qu’on écoute.
 
Partout où je suis allé, il a fallu prouver maintes et maintes fois que je n’étais pas un sale macho revanchard. J’avais l’impression d’être Galilée en train d’expliquer aux prêtres et prêtresses de l’inquisition que ce n’était pas le soleil qui tournait autour de la Terre mais bien le contraire. La vérité choque mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour améliorer le sort des familles et surtout celui des enfants.
 
Je parle, je parle, mais quand vous aurez fini cette lecture, ce soir, trois hommes de plus se seront suicidés. Ils feront partie des 1055 gars qui se donnent la mort sur 1300 suicides répertoriés chaque année au Québec. Un record mondial. 55% de ces suicides réussis ayant un lien avec des litiges familiaux. Pourquoi tant de désespoir d’après vous ?
 
Mais dormez bien, Mesdames Lise Rousseau, Michèle Asselin, Francine Faubert et Lyne Boissinot vous disent que j’invente.
 
Serge Ferrand
Père de deux merveilleux garçons encore en vie
 
* INRS : Institut national de la recherche scientifique
 
 


Imprimer

Menu

Menu :