DOSSIER : les fausses accusations dans l’Education Nationale


Le site de Jamac, association d’aide aux enseignants faussement accusés de violences sexuelles, est désormais inactif, mais toujours consultable :

 

Un livre incontournable :

Marie-Monique Robin. L’école du soupçon, les dérives de la lutte contre la pédophilie. La Découverte, 2006

 

 

La circulaire Ségolène Royal de 1997, que nous reproduisons-commentons ici.
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Autres documents :
Marie-Monique Robin. L’école du soupçon. Documentaire, France 5, 2007
Bernabeu, Anthony. Journal d’un instituteur en garde à vue. Calmann-Levy
 
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L’école du soupçon
 
 
En 1997, après l’affaire Dutroux en Belgique, l’Education nationale, qui jusque là camouflait soigneusement les affaires de pédophilie découvertes en son sein, subit la pression de l’opinion publique et se décide à agir.
 
Malheureusement, elle tombe dans l’excès inverse. Arrivée rue de Grenelle, Ségolène Royal fait entrer en vigueur une circulaire qui enjoint aux fonctionnaires le signalement au procureur dès que des accusations sont lancées, sans autre précaution ni intermédiaire. Dès lors, les plaintes se multiplient dans les écoles, collèges et lycées français, plus d’une centaine par an, classées sans suite pour la plupart (dans une proportion de 73% selon l’Autonome de solidarité, une mutuelle qui défend les enseignants - un chiffre qui n’intègre pas les innocents injustement condamnés, ni les suicidés qui n’ont pas supporté les procédures). La foudre tombe sur des instituteurs et des profs qui se défendent mal, effarés, impuissants face à la prégnance de l’idéologie qui sacralise la parole de l’enfant (et dans laquelle une certaine mouvance féministe a sa part), une justice aveugle toujours tentée de choisir cette parole contre la leur, et la trahison de leur propre institution qui refuse de les défendre, même lorsqu’il sont mis hors de cause.
 
Journaliste et réalisatrice de talent, l’auteure raconte le calvaire de ces hommes (car la quasi-totalité des mis en cause sont du même sexe) à la santé et la réputation ruinée, contraints à changer de région voire de travail, marqués à vie par les épreuves subies, au point que certains mettent fin à leurs jours. Elle reprend dans le détail les affaires Pascal Rémond, Bernard Hanse, Paul Jacquin et d’autres. Mais elle raconte aussi leur résistance, à travers la création du Collectif Jamac, et l’action exemplaire d’avocats comme Florence Rault, de psys comme le français Paul Bensussan ou le québécois Hubert van Gijseghem, qui ont refusé de hurler avec les loups.
 
Elle met enfin en évidence les conséquences désastreuses de cette chasse aux sorcières sur la vie enseignante : méfiance institutionnalisée de tout contact corporel,nouvelle dépréciation de l’autorité et en particulier du modèle masculin, car "aujourd’hui, le fait d’être un enseignant homme, c’est porter sur soi un soupçon et cela induit une relation qui n’est plus naturelle, qui n’est plus vraie, à l’intérieur des écoles" (p.44) - et pour les enfants faux accusateurs, remords et traumatismes spécifiques en perspective.
 
Patrick Guillot
 
Les chiffres
 
L’Autonome de solidarité est une mutuelle réservée aux personnels de l’Education nationale publique, spécialisée dans le soutien à ses adhérents confrontés à des affaires d’ordre moral (insulte, menance, diffamation). Elle est donc en première ligne pour mesurer la proportion de fausses allégations d’élèves ou de parents d’élèces dans les plaintes pour agression sexuelle. Elle est même la seule à l’avoir fait pour l’instant, le ministère ne publiant aucune statistique (et peu pressé de le faire, puisqu’il enfonce systématiquement les mis en cause...).
 
Voici le tableau édité par ses soins en février 2002 (dans Ecouter l’enfant et respecter la présomption d’innocence. Colloque national organisé par la Fédération des autonomes de solidarité et Union solidariste universitaire, p. 10-11) :
 
 

96-97

97-98

98-99

99-00

00-01

Total

Dossiers

132

175

111

68

80

566

Non clos

50

68

51

32

70

271

Clos

82

107

60

36

10

295

Sans suite

43

60

36

26

3

168

Relaxe

14

14

8

7

2

45

Condamnations

24

33

15

2

5

79

Suicide

1

0

1

1

0

3

 
Le bilan est éloquent : en cinq ans, sur les 295 procédures closes, 213 (168 sans suite + 45 relaxes) innocentent complètement les mis en cause, soit 73% ! Mais on peut penser qu’il y avait aussi des innocents parmi les condamnés et les suicidés...
 
L’Autonome n’a malheureusement pas poursuivi ce travail ultérieurement.
 
*****
Pédophilie : moins de suspicion, plus de raison. Monde de l’éducation, mai 2005, pp.36-38 (extrait)
 
(...)
Cela dit, si toute affaire de pédophilie est une affaire de trop, les chiffres incitent à minimiser leur fréquence.
 
Selon le ministère de l’éducation nationale - qui traite les dossiers allant de trois mois d’exclusion à l’exclusion définitive -, sur environ 100 condamnations annuelles (incluant tous motifs : violences sexuelles, mais aussi fraude aux concours, conduite en état d’ivresse d’un fonctionnaire, trafic de drogue, vols, etc.), il n’y aurait que 15 à 20 cas d’affaires de moeurs pour 400000 enseignants dans le secondaire. Les chiffres sont similaires dans le primaire où l’on compte 340000 enseignants : 93 sanctions en 2001, dont 10 pour atteinte aux moeurs ; 110 sanctions en 2002, dont 23 pour moeurs ; 115 sanctions en 2003, dont 10 pour moeurs. Des chiffres de condamnations relativement bas qui révèlent, a contrario, le nombre d’enseignants ayant fait les frais de dénonciations erronées, voire calomnieuses.(...)
 
[Il s’agit des sanctions "Education nationale", donc qui font suite à une condamnation pénale. C’est le complément des chiffres précédents : le nombre des enseignants qui sont mis en cause et viennent demander l’aide de l’Autonome condamnés est très supérieur au nombre de ceux qui sont finalement sanctionnés....
 
Nous reproduisons maintenant l’article au complet, car il décrit parfaitement la situation :]
 
Pédophilie : moins de suspicion, plus de raison
 
Légitime, la lutte contre la pédophilie à l’école a radicalement changé les pratiques pédagogiques des adultes en contact avec des mineurs. Aujourd’hui, plus de sagesse dans son application permet une relation enseignant-élève plus sereine.
 
Christian Baës revient de loin. Lorsqu’il retourne dans son établissement (un lycée professionnel composé à 85% de filles en sections secrétariat ou coiffure), en novembre 2004, après un congé maladie de quinze jours, il découvre estomaqué un dossier lui reprochant un comportement anormal, des gestes et des propos déplacés envers quatre élèves. Ces accusations émanent de jeunes filles de 1ere année de BEP du lycée professionnel de Caen où il enseigne l’éducation physique (EPS) depuis 2001.
 
Que lui reproche-t-on ? Une réflexion (sur un ton plutôt sympa) à propos de la nouvelle teinte de cheveux d’une élève ; une autre (plutôt sévère) sur un pantalon laissant voir le string d’une élève, ce qui ne se serait pas produit si elle avait été en tenue réglementaire pour faire du sport (short ou jogging), et le fait d’avoir pris une élève par l’épaule pour discuter avec elle en marchant. Un geste pouvant être mal interprété mais qui n’aurait choqué personne au début des années 1990, avant. Avant la « circulaire Ségolène Royal » du 26 août 1997.
 
Du nom de la ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire de l’époque, ce texte intitulé « Instruction concernant les violences sexuelles » traite notamment de celles perpétrées à l’encontre d’élèves mineurs. Il intervient dans un climat et à une époque où, dans la foulée de l’affaire Dutroux - pédophile meurtrier belge arrêté en août 1996 -, nombre d’affaires de mœurs sur des enfants sortent dans la presse : 52 articles sur la pédophilie pour le seul journal Le Monde pendant le premier trimestre 1997.
 
La circulaire Ségolène Royal rappelle que « la parole de l’enfant qui a trop longtemps été étouffée doit être entendue ». Elle stipule que tout fonctionnaire qui a eu « connaissance directe de faits » risque d’être « poursuivi en justice pour non-empêchement de crime » s’il ne les signale pas au procureur de la République.
 
Vengeance d’adultes et d’élèves
 
Juste dans ses intentions, cette circulaire, qui marque un avant et un après en matière de lutte contre la pédophilie à l’école, fut souvent appliquée sans discernement, la dénonciation de violences sexuelles contre mineurs servant parfois à des règlements de comptes ou à des vengeances d’élèves à l’encontre de leur professeur..
 
Bien sûr, lorsque les faits sont avérés, tous les personnels de l’éducation nationale confondus ainsi que leurs syndicats approuvent la circulaire Royal et le besoin de retirer la personne impliquée de son poste et de la proximité des enfants en attendant la décision de justice. Cela dit, si toute affaire de pédophilie est une affaire de trop, les chiffres incitent à minimiser leur fréquence. Selon le ministère de l’Education nationale - qui traite les dossiers allant de trois mois d’exclusion à l’exclusion définitive -, sur environ 100 condamnations annuelles (incluant tous motifs : violkences sexuelles, mais aussi fraude aux concours, conduite en état d’ivresse d’un fonctionnaire, trafic de drogue, vols, etc.), il n’y aurait que 15 à 20 cas d’affaires de mœurs pour 400000 enseignants dans le secondaire. Les chiffres sont similaires dans le primaire où l’on compte 34000 enseignants : 93 sanctions en 2001, dontt 10 pour atteinte aux mœurs ; 110 sanctions en 2002, dont 23 pour mœurs ; 115 sanctions en 2003, dont 10 pour mœurs. Des chiffres de condamnations relativement bas qui révèlent, a contrario, le nombre d’enseignants ayant fait les frais de dénonciations erronées, voire calomnieuses.
 
Le cas de Bernard Hanse - professeur d’EPS qui s’est suicidé le 10 juin 1997, deux jours après que le principal de son collège eut informé le procureur de la République qu’un élève l’accusait d’attouchements - a durablement marqué les esprits. L’élève, qui avait été exclu du cours de Bernard Hanse du fait de son comportement, avait finalement reconnu avoir voulu se venger et avait été mis en examen pour dénonciation mensongère. Mais l’irréparable avait eu lieu.
 
Pascal Anger, qui fut pendant onze ans professeur d’EPS dans un collège près d’Angers (Maine-et-Loire), aujourd’hui professeur agrégé en faculté et en cours de master de sociologie du corps, reconnaît le bien-fondé de la circulaire Royal : « Il fallait que ça change . Avant, grosso modo, l’éducation nationale cherchait à étouffer les affaires en les réglant en interne , sans tribunaux ni médias. Mais on est passé d’un extrême à l’autre ; de la loi du silence à dire tout et n’importe quoi. »
 
Selon un décompte de la Fédération autonome de solidarité en date de février 2002, cette mutuelle des personnels de l’éducation aurait été saisie de 566 affaires de mœurs depuis l’années scolaire 1996-1997 jusqu’en 2001. En 2002, 271 dossiers n’étaient pas encore traités mais, parmi les 295 dossiers clos, 79 avaient abouti à une condamnation (26,77%) ; 3 à un suicide ; 168 étaient classés « sans suite » (dossiers vides) ; 45 avaient donné lieu à une relaxe (non-lieu). Reçu en février 1998 par le juge Hayat, conseiller technique au cabinet de Ségolène Royal de 1997 à 1999, le SNEP (Syndicat des enseignants d’EPS) s’était entendu dire que «  les ministres (NDLR : Claude Allègre et Ségolène Royal) estiment que, si un enfant est préservé au prix de neuf enseignants accusés à tort, l’objectif était rempli ». Reflet de l’époque, l’adage « Mieux vaut un coupable en liberté qu’un innocent en prison » s’était transformé en «  mieux vaut un innocent en prison qu’un pédophile en liberté  », comme dénonçait alors Le Nouvel Observateur sous la plume d’Anne Fohr.
 
De la confiance à la défiance
 
Et tant pis pour les personnels injustement accusés. Professeur des écoles (PE) en charge de direction à la maternelle Jean-Jaurès à Malakoff (Hauts-de-Seine), Philippe Dupont relève qu’ « un non-lieu n’est pas une innocence proclamée. Les collègues inculpés sont automatiquement suspendus et l’éducation nationale les laisse seuls tant que le jugement n’est pas rendu. Une instruction peut durer trois ans, précise-t-il. Il peut y avoir une enquête auprès de la famille, des perquisitions au domicile, un interrogatoire des enfants, les livres, cassettes et albums-photos épluchés... Pendant ce temps, des familles d’enseignants sont détruites. La protection de l’enfant, c’est bien, mais il faut trouver un équilibre pour travailler en toute sérénité et que le ministère accompagne les collègues mis en accusation tant qu’ils ne sont pas déclarés coupables. Il ne faut pas les laisser se morfondre chez eux. On peut leur donner un travail de bureau, par exemple. »
 
Pascal Anger se souvient du cas Bruno Landon, prof d’EPS accusé injustement de gestes déplacés sur des élèves. En fait, une vengeance d’élèves exclus de leur club sportif par l’enseignant qui avait surpris des filles ayant invité des garçons dans leur tente lors d’une sortie sportive. Bruno Landon avait porté plainte contre ses accusatrices qui ont alors reconnu avoir menti.
 
Et que dire de Charles Hureau, autre professeur d’EPS dénoncé dans le cadre d’un témoignage collectif (illégal !)) réclamé à ses élèves par un professeur principal et une infirmière scolaire ? L’histoire, qui fit grand bruit, avait failli dégénérer en règlement de compte entre SNEP et syndicat des infirmières scolaires. Malgré un non-lieu prononcé en 1999, Charles Hureau préféra partir à la Réunion avec toute sa famille.
 
Christian Baës n’a pas eu à aller jusque là. Connu et estimé de ses collègues comme de l’ensemble des élèves de son établissement qui l’ont soutenu, son affaire s’est vite dégonflée une fois que les élèves qui l’accusaient ont reconnu avoir mal interprété ses propos et gestes. Mais comme nombre de professeurs d’Eps sur lesquels pèse une suspicion pratiquement généralisée depuis la circulaire Royal, il a changé du tout au tout ses pratiques...
 
« Maintenant, en début de cycle, explique-t-il, si je dois faire une démonstration en acrosport [activités de cirque, réalisation de pyramides humaines], je dis à voix haute : « Attention, je vais mettre une main là ». Je préviens que l’activité va m’obliger à poser mes mains sur leur corps - le bassin, par exemple - mais que c’est un geste professionnel qu’il ne faut pas interpréter autrement. J’explique aussi qu ‘en cas de chute, lors de la réalisation d’une pyramide, je peux être amené à faire une parade et à les rattraper par n’importe quelle partie de leur corps plutôt que de les voir s’écraser au sol. Je deviens un prof froid, je m’interdis tout commentaire non professionnel. J’ai parfois des anciens élèves devenus amis qui viennent dîner avec une femme et enfants à la maison . Ca n’arrivera jamais avec les élèves d’aujourd’hui. »
 
Des pratiques banales dans les années 1980, comme de prendre une douche en slip de bains avec les élèves après un match de rugby (car il n’y a généralement pas de douches pour les enseignants dans les équipements sportifs), sont impensables aujourd’hui. Au risque de voir les enseignants s’interdire la pratique de nombreux sports. « Maintenant je fais même attention pour aider une élève à faire une roulade avant. On est passé d’un climat de confiance à un climat de défiance, regrette Pascal Anger. Pour une démonstration de prise au sol en judo, vous êtes obligé d’être sur l’autre qui est à quatre pattes. Ca peut être très mal interprété. Alors, doit-on arrêter d’enseigner le judo ? Et le rugby, vous savez le corps-à-corps qu’implique une mêlée ? Quand on a une mêlée mixte puisque l’école est mixte, et qu’il faut tenir la cuisse de l’autre, vous imaginez les interprétations qu’on peut faire ? Il faut aussi interdire le rugby ? »
 
Suspicion et judiciarisation ont conduit les enseignants - surtout les professeurs d’EPS et de maternelle hommes - à changer de comportement, voire de pédagogie. Les premiers parce que le corps est au cœur de leur discipline, les seconds parce qu’ils doivent s’occuper de très petits enfants non encore autonomes. Pour des raisons similaires, médecins et infirmières scolaires sont également très exposés.
 
Retour à plus de sagesse
 
Professeur d’EPS au collège Langevin-Wallon de Blainville-sur-Orne (Calvados), Nina Charlier - mais c’est une femme... - refuse que la « parano » actuelle pollue ses cours : « J’ose toujours toucher un ou une élève pour corriger une posture. C’est ma tâche éducative. Je sais que je peux être accusée de pédophilie mais j’en prends le risque car je me place sur le plan pédagogique. Que ce soit la pédophilie ou la sécurité, je refuse que ces questions soient un obstacle à mon métier. Sinon, je n’ai plus qu’à arrêter. On nous accuse de pédophilie ou de non-assistance à personne en danger ! Une fois, j’ai dit à des parents : « Choisissez de quoi vous voulez nous accuser. »
 
Il n’empêche, les adultes responsables d’enfants dans le cadre scolaire ont majoritairement intégré une suspicion qui plane sur eux comme une épée de Damoclès et ont changé leurs pratiques. « Avant 1997, reconnaît Bernard Lacomme, professeur des écoles et directeur de la maternelle de Saint-Vincent-de-Tyrosse (Landes), je ne donnais jamais de consignes aux PE. Avant 1995, si l’Atsem (aide maternelle) était absente, j’emmenais moi-même les enfants aux toilettes. Les Atsem essuyaient les enfants, mais je pouvais les aider à se rhabiller. S’il y a un bobo au genou, j’utilise moi-même la trousse de pharmacie. Mais si c’est la hanche et qu’il faut baisser une culotte, c’est l’Atsem qui le fera. Pareil pour la sieste en petite et moyenne sections : ce sont les Atsem qui déshabillent et rhabillent. Des collègues femmes peuvent donner un coup de main, mais jamais un homme ! Maintenant, je m’interdis de toucher qui que ce soit. Pour les classes de découverte avec nuitées - en chute libre du fait de la méfiance des parents et de la crainte des enseignants -, les parents demandent si les chambrées sont mixtes et si les personnels hommes ne surveillent que les chambres de garçons. Ce n’est pas sain comme ambiance. »
 
 Même précautions chez Joël Viot, PE en CM1 et directeur de l’école élémentaire de Plouay (Morbihan) : « Si un enfant pleure, je ne le prendrai pas dans mes bras comme avant. Encore moins sur mes genoux ! Dans les séjours avec nuitées, les adultes ont la consigne de frapper aux portes et d’attendre que les enfants les autorisent à entrer, quand ils ont fini de se changer. »
 
J.A., directeur d’école élémentaire qui préfère rester anonyme, prévient ses enseignants : « Si vous devez punir un élève, ne me l’envoyez pas jamais seul : je ne le recevrai pas. Et si on doit aider un élève après un cours, il faut toujours laisser la porte ouverte. » C’est la même chose pour C.B., également directeur d’école élémentaire : « Si un maître a un élève blessé, il viendra chercher une femme. Les hommes qui surveillent les récréations ne mettent plus les pieds dans les toilettes, même s’il y a un chahut. Et à la piscine, on surveille les vestaires de l’extérieur (rires) ! » Une situation que refuse Nina Charlier : « Quand vous entendez une bagarre dans un vestiaire de garçons, c’est toujours le plus faible qui trinque. Vous faites quoi ? Il faut bien le protéger, non ? »
 
Heureusement, la suspicion généralisée commence à laisser la place à plus de sérénité. « Il y a eu tellement de dérapages que ça s’est calmé, remarque Pascal Anger. La circulaire Royal n’est plus appliquée à la lettre. On vérifie, on rencontre toutes les parties avant de prévenir le procureur de la République. On ne décroche plus tout de suite le téléphone. »
 
Marc Dupuis. Le monde l’éducation, mai 2005, pp.36-38
 
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[Voici l’histoire d’un drame individuel, tout à fait représentatif]
 
Un instituteur accusé à tort de pédophilie pendant neuf ans peut commencer à "se reconstruire"
 
La cour d’appel de Rennes a prononcé, le 18 octobre, la relaxe définitive dAlain Auger pour les attouchements sexuels dont trois de ses élèves l’avaient accusé neuf années auparavant. L’histoire au centre de laquelle s’est retrouvé cet ancien instituteur de 55 ans aura ainsi commencé en pleine affaire Dutroux et se sera achevée peu avant le début du procès en appel d’Outreau.
 
Tout commence en novembre 1996, à l’école de la Maraîchère, à Trélazé, près d’Angers, où Alain Auger est titulaire remplaçant. Quelque temps auparavant, une affaire de pédophilie a éclaté dans un collège voisin. Depuis le mois d’août, l’affaire Marc Dutroux occupe les médias. C’est dans cette ambiance que trois élèves de CM2 se plaignent auprès de leurs parents de gestes déplacés qu’aurait eus l’instituteur lors de remplacements de son directeur : il aurait caressé les seins de l’une, tenté d’embrasser une autre, mis un crayon sur le sexe de la troisième.
 
Ces accusations, évoquées en réunion de parents d’élèves, remontent vers le chef d’établissement et une psychologue scolaire. Dans l’établissement, tout le monde est au courant des bruits, sauf l’intéressé. "C’est moi qui l’ai prévenu", précise Michel Boutreux, le seul collègue ayant soutenu Alain Auger dans la tourmente qui a suivi.
 
En février 1997, le directeur fait un signalement auprès de l’inspection académique. "Comme la loi m’y obligeait", précise-t-il. Un épisode survenu deux mois auparavant, lors d’un déplacement à la piscine, prend une autre dimension. Alain Auger raconte : "Des élèves tardaient. Je suis allé vers leurs vestiaires. Après avoir frappé, je suis entré et je suis tombé nez à nez avec une des retardataires, qui était nue."
 
L’enseignant doit subitement se justifier. D’abord devant les parents et ses collègues, puis devant l’inspection académique et, surtout, la justice. Entre-temps, en août 1997, Ségolène Royal, ministre déléguée à l’enseignement scolaire, a envoyé son "instruction concernant les violences sexuelles".
 
L’instituteur est d’abord défendu par son syndicat, le SNUipp, dont son directeur est responsable départemental. Puis il s’adresse au SGEN-CFDT pour l’assister face à l’administration. "On m’a demandé de changer de zone, mais j’ai refusé. J’aurais eu l’impression que ça aurait été un aveu de ma part", dit-il. Son moral décline. Il abandonne l’enseignement de la voile, par crainte du contact avec les enfants.
 
VIE PROFESSIONNELLE DÉTRUITE
 
Le rapport d’expertise, établi par le même psychiatre qui a examiné les trois mineures, l’accable. "Cet homme, note le praticien, se défend de toute symptomatologie en organisant un discours méticuleux qui fait barrage à toute question et masque ainsi ses failles non symbolisées."
 
Son avocat, Me Antoine Barret, ne voit qu’un raisonnement "téléologique" pour expliquer l’entêtement de la justice : "Les enfants ne peuvent pas mentir et inventer l’histoire de la culpabilité d’un adulte ; à partir de là, l’adulte a fait quelque chose qu’il n’a pas avoué."
Ereinté, Alain Auger part dans le Tarn, avec sa famille, pour la rentrée 1999. Malgré l’éloignement, sa vie professionnelle reste un enfer : "Quand un enfant tombait dans la cour, je n’osais pas le soigner. A la piscine, j’avais la hantise qu’un enfant se noie et que je sois obligé de plonger." Sa vie familiale est également altérée : "Je n’osais plus toucher ma fille. Un de mes fils, engagé dans la marine nationale, a été convoqué par sa hiérarchie."
 
La cellule familiale résiste, mais le moral de l’instituteur s’effondre. "J’ai parfois songé à me jeter contre un camion", confie-t-il. En 2002, il abandonne l’enseignement, passe tous ses après-midi à dormir, "pour fuir". La descente aux enfers n’est pas terminée : le tribunal correctionnel de Rennes le condamne à six mois de prison avec sursis, en octobre 2004, bien que le procureur ait refusé de requérir, compte tenu de l’incohérence des déclarations des parties civiles.
 
"Je vais peut-être pouvoir commencer à me reconstruire", dit cet homme réservé, qui n’a jamais cherché à faire du battage autour de son cas. Son premier petit-fils, né récemment, a commencé à l’y aider. "Mon mari n’osait pas le toucher, rapporte sa femme. Heureusement, on a une belle-fille formidable : elle lui a mis le bébé dans les bras."
 
Vincent Boucault
Le Monde, 27 novembre 2005
 
 
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[Un autre cas représentatif  : heureusement qu’il a été jugé après les deux procès d’Outreau ! :]
 
Relaxe de l’instituteur soupçonné d’attouchements
 
Le tribunal correctionnel de Melun a pris son temps hier pour juger d’une délicate affaire d’agression sexuelle sur mineur impliquant un instituteur. Ce dernier était accusé par une de ses anciennes élèves de CM1 d’une école de Melun pour des faits remontant à 1994-1995. L’homme, qui a toujours nié les faits, a finalement été relaxé. « La victime, c’est moi ! C’est la pire chose qui me soit arrivée dans ma vie, tout cela est faux », a-t-il clamé au tribunal. Aujourd’hui, il est toujours affecté dans une école, mais n’a pas de classe, ce qu’il vit comme une véritable humiliation. L’ombre du procès d’Outreau a plané sur cette affaire, même si elle n’en avait pas l’ampleur, et le président du tribunal, Philippe Michel, a souligné les cafouillages de l’enquête, notamment à son tout-début. C’est en 2002 que la victime, aujourd’hui âgée de 21 ans, révèle les faits. Dans un premier temps, c’est la brigade des mineurs de Reims qui va recueillir le témoignage de la jeune fille qui réside alors en Champagne. Mais l’interrogatoire est mal mené. Les enquêteurs de Melun, qui ont pris la relève, reconnaissent eux-mêmes que les questions posées par leurs collègues de Reims sont trop fermées et que l’entretien est orienté. Hier, ils ont confié leurs doutes à propos de ce dossier.
 
A Melun, ils procéderont à une confrontation entre la victime et son agresseur présumé. A cette occasion, celle-ci craque, veut tout abandonner et même retirer sa plainte. La procédure est-elle trop lourde à supporter, a-t-elle menti ? Elle maintiendra finalement ses accusations, confortée par les experts qui assurent que sa parole est crédible et qu’elle présente bien tous les symptômes d’une personne ayant été agressée sexuellement.
 
Des cafouillages au début de l’enquête.
 
Mais les autres éléments de l’enquête ne viennent pas étayer son propos. Elle affirme que les agressions, une vingtaine en un an, avaient lieu durant la récréation, dans la classe où le maître la retenait. Mais ses anciens camarades ne se souviennent pas de telles retenues. Par ailleurs, la classe en question est vitrée et donne sur un couloir qui fait face à une autre classe. Et personne ne s’est jamais aperçu de rien. Ensuite, aucune autre victime de cet instituteur ne’a été retrouvée malgré une enquête minutieuse de la brigade des mineurs de Melun qui a interrogé de nombreux anciens élèves. Deux témoins racontent même cet épisode durant lequel la victime a affirmé à ses copains, pendant plusieurs mois, qu’elle souffrait d’un cancer des os, ce qui était totalement faux. « Je n’estime pas qu’elle ait menti. Mais tous ces éléments ne viennent pas corroborer la thèse de la victime. J’ai un doute qui subsiste, donc je ne peux demander d’entrer en voie de condamnation », a conclu la procureure au bout de six heures d’audience.
 
Sébastien Morelli
Le Parisien, 11 janvier 2006
 
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La catastrophe Ségolène Royal
 
[En 2007, Evelyne Pathouot, ancienne attachée parlementaire de Ségolène Royal dans les Deux-Sèvres, raconte dans Ségolène Royal, ombre et lumière (Michalon) un peu plus de deux ans de sa vie au quotidien (1995-1997). Certes, il s’agit d’un coup lié à la campagne présidentielle, et il y a à boire et à manger dans les faits ou propos rapportés. Cette précaution posée, nous reproduisons l’extrait suivant, qui en dit long sur l’état d’esprit dans lequel Royal a conçu sa circulaire :]
 
Je pensais que plus rien ne pourrait me surprendre venant de sa part, quand soudain, elle proféra, avec une insouciance totale des propos qui, dix ans plus tard, me paraissent toujours inqualifiables. Alors qu’elle évoquait certaines de ses déclarations sur la pédophilie dont la presse avait fait grand bruit et qui avaient assis sa réputation de femme d’ordre et d’autorité, elle se félicita elle-même d’avoir eu « la chance » - ce fut le terme qu’elle employa - d’avoir eu un cas de pédophilie dans sa circonscription, « ce qui lui donnait de l’avance sur Claude Allègre ». Le terme « chance » me semblait plutôt mal approprié. Je ne voyais pas en quoi cela pouvait constituer pour une élue une occasion de se réjouir, ni de l’« avance » sur un autre ministre.
 
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[Encore un cas, très semblable aux précédents. Pourtant l’affaire a commencé en 2005, après les deux procès Outreau, et alors que la courbe de ce genre d’affaire dans l’Education nationale est descendante...]
 
Accusé de pédophilie à tort pendant 43 mois
 
Patrick fait le récit à Libération de son calvaire
 
Le « cauchemar qui s’éternise » de Patrick (1), instituteur depuis plus de vingt ans, réputé pour son dynamisme,« ce cauchemar qui s’éternise »s’est terminé à la fin de l’an passé, après quarante-trois mois face à la justice. Par un jugement qui lui donnait raison. Une relaxe. Il y a quelques semaines Patrick a décidé de raconter par le menu à Libération ce qui lui était arrivé, pour expliquer comment l’existence d’un homme peut d’un coup basculer. Et aussi pour remercier l’avocat de son investissement. L’avocat en question, Laurent Hazan, a, de son côté, insisté auprès de Patrick pour qu’il témoigne de la difficulté qu’éprouve le système judiciaire avec ces affaires de pédophilie qu’il faut « mener jusqu’au bout », et même comment, malgré un « dossier vide », selon les mots de l’avocat, l’enfer peut arriver.
 
Ce célibataire de 52 ans travaillait dans une école de banlieue depuis vingt-cinq ans. Jusqu’à ce jour de 2005 où la mère d’une fillette à qui il enseignait porte plainte « pour agressions sexuelles sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité ». Plusieurs autres filles se joignent, parlant de « caresses sur les fesses par-dessus le pantalon ». Avant, bien plus tard, de se rétracter, et reconnaître qu’elles avaient tout inventé.
 
Patrick déroule le fil de l’histoire, la convocation à la brigade des mineurs, l’interrogatoire des policiers, qui, assure-t-il, « ont fait correctement leur travail ». En sortant de la première convocation, les inspecteurs lui disent que s’ils ne trouvent rien d’autre, « cela ira assez vite ». Il passe la nuit dans la cellule. Dès le lendemain il se voit suspendu par l’inspectrice d’académie, en trente secondes. « J’étais bourré de cachets », explique Patrick. L’inspectrice va jusqu’à faire le tour de l’établissement pour expliquer que l’instituteur était « suspendu ».
 
Gamberger. Avant cette affaire, Patrick songeait à sa reconversion professionnelle. Il estimait avoir « fait le tour de son métier ». Une association lui avait proposé de travailler pour elle. Lorsque les ennuis judiciaires se profilent, la proposition tombe « à pic » pour Patrick. Ce qui n’est pas le cas pour d’autres collègues injustement accusés qui se sont retrouvés à gamberger, durant leur suspension, et qui ne l’ont pas supporté. « Moi, j’avais envie d’aller dans un bureau, de voir des gens », raconte Patrick. En février 2006, son ordinateur est examiné. Rien de troublant n’y est trouvé. Le parquet effectue donc un classement sans suite, avant de se raviser. Car quelque chose cloche dans le procès-verbal de garde à vue. L’instituteur y reconnaît à demi-mot certains des faits. « Il essayait de se sortir de l’enfer de la garde à vue, ce qu’il racontait là était complètement incohérent avec ce qu’il disait avant,. L’impression générale qui se dégage du dossier n’est pas du tout celle qui figure sur ces procès-verbaux » explique son avocat, Laurent Hazan
 
Lorsque l’avocat rappelle Patrick pour lui annoncer que l’affaire est à nouveau relancée, il explique à l’association qui l’emploie qu’il ne viendra pas travailler. Mais son employeur le rappelle, l’obligeant à venir : « Demain t’es au boulot. » Ce qui, conçoit Patrick a posteriori, l’a sauvé. Finalement l’affaire est transmise à un juge d’instruction, un ancien instituteur, qui explique à Patrick qu’il va « interroger ses anciens élèves ». Viennent les expertises psychologiques, dont l’une conclut à une absence de danger. L’autre parle de « tendance pédophilique dans l’imaginaire ».
 
De septembre 2006 à août 2007, Patrick attend. Il ne se passe rien. En décembre 2007 arrive l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. « L’instruction était à sens unique. Le magistrat était dans une comparaison morale, mais il y avait deux lettres des mères qui expliquaient que ce que disaient leurs filles n’était pas vrai. »
 
Vient le jour du procès. L’avocate de la partie civile est une ancienne institutrice. Patrick se dit « tendu » à l’idée de se défendre du mieux qu’il peut, dans un état un peu second, « J’ai eu de la chance de tomber sur une présidente qui connaissait bien le dossier », explique-t-il. « Il a fallu attendre trois ans et demi pour qu’une magistrate porte un regard clairvoyant sur l’affaire », surenchérit l’avocat. La décision tombe : « Relaxe, sans aucun commentaire. » Pendant quinze jours, Patrick se souvient avoir « flippé » que la partie civile ne fasse appel.
 
Inflexibilité. Au début de l’affaire l’instituteur a reçu des lettres de soutien. Son remplaçant, puis un collègue viennent le voir deux fois par mois. Un temps, il hésite à déménager, mais repousse l’idée. « Personne ne m’a regardé de travers », explique-t-il. Il trouve quand même un graffiti sur le portail de l’école, des gamins qui viennent sonner en bas de chez lui en disant : « On va te brûler. » Ce qu’il regrette, c’est la longueur, l’inflexibilité de cette « machine continue ». Aujourd’hui encore il lui reste aussi une « espèce d’inquiétude ». Durant ces quarante-trois mois, il n’a pas cessé de penser à l’affaire. Il a entamé une analyse. L’affaire l’a obsédé, rendu malade, quand il allait dîner chez des amis, et même lorsqu’il se rendait au cinéma voir un film comique. « Je riais et je m’arrêtais de rire, je me disais qu’il allait y avoir le procès », explique-t-il. Il n’arrivait pas non plus à se projeter dans l’avenir.
 
Depuis la décision il est allé faire du ski et ses copains lui ont dit : « On a retrouvé ta voix. » Il ne compte pas demander de réparation, des dommages. Il dit juste : « Je n’ai pas envie de revenir là-dessus. »
 
Didier Arnaud
 
(1) A sa demande, son prénom a été modifié.
 
Libération, 4 avril 2009
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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