La cause des hommes - pour la paix des sexes. Patrick Guillot (2005)
[Texte d’une conférence prononcée au deuxième Congrès international de la condition masculine, le 24 avril 2005 à Montréal - disponible avec les textes des autres interventions sur http://www.parolesdhommes.com]
La cause des hommes - pour la paix des sexes (...)
Pour moi, le mouvement des hommes englobe deux démarches distinctes mais complémentaires :
– une recherche identitaire
– un combat pour l’égalité des droits : combat culturel, social, politique.
– une recherche identitaire
– un combat pour l’égalité des droits : combat culturel, social, politique.
Ces deux démarches sont pour l’instant conduites séparément. Il faut des occasions exceptionnelles comme ce congrès pour qu’elles se rejoignent et c’est dommage car leur convergence est évidente. Ainsi les hommes qui se retrouvent au Réseau Hommes souffrent souvent d’avoir eu un « père manquant ». D’autres, qui se retrouvent dans les mouvements paternels, font tout pour ne pas être des « pères manquants ». Leur cause est la même. Ils ont beaucoup à gagner à se connaître et à se soutenir mutuellement.
La question a été posée ces jours-ci de savoir s’il fallait un néologisme pour désigner le mouvement. Si celui-ci se réduisait à une recherche identitaire, ce ne serait pas nécessaire. Mais comme il est aussi un combat social et politique, il en a besoin . Le néologisme est un outil, une arme. Il permet aux militants de se reconnaître entre eux, de se définir rapidement devant les autres (les médias par exemple), et aussi par rapport à l’adversaire. Certes, il est souvent réducteur, générateur de malentendus : mais ceux qui ne sont pas en mesure de se définir par eux-mêmes suscitent des malentendus encore plus grands.
Puisqu’il faut bien choisir entre « masculinisme » et « hominisme », je choisis sans hésiter « hominisme ». Yvon Dallaire a évoqué pour cela des arguments d’ordre étymologique. J’y souscris, mais j’attache plus d’importance à la consonance. C’est un aspect très important, car c’est souvent par la consonance du mot qui la désigne qu’une cause est d’abord perçue, en positif ou en négatif. Or si « masculinisme » a indiscutablement une consonance lourde, « hominisme » a une consonance légère. Peu importe qu’il fasse aujourd’hui sourire ou hausser les sourcils : il faut lui donner un contenu, une consistance. Ce n’est qu’une question de temps.
Pour moi - actuellement, car cela peut évoluer - l’hominisme a quatre objectifs fondamentaux. Les voici, numérotés arbitrairement par pur souci de commodité :
1. sortir du stéréotype masculin
2. faire reconnaître les violences contre les hommes
3. trouver des solutions à la sous-performance des garçons à l’école
4. rendre leur place aux hommes dans la famille
2. faire reconnaître les violences contre les hommes
3. trouver des solutions à la sous-performance des garçons à l’école
4. rendre leur place aux hommes dans la famille
Pour l’objectif 1, il y a déjà des associations comme le Réseau Hommes ou le Mankind Project, qui aident leurs participants à se détacher du modèle bourgeois - l’homme pourvoyeur et négateur de son intériorité - et à trouver en eux l’homme authentique. Pour l’objectif 2, il y a un gros chantier : dénoncer la misandrie ambiante, les violences taboues ( inceste mère-fils, violence conjugale féminine, fausses allégations d’abus sur les enfants, etc), mettre en place des services de soutien et de soins aux hommes victimes. Dans le domaine de l’objectif 3, il n’y a guère pour l’instant que des chercheurs comme Jean-Guy Lemery, mais les pères peuvent déjà en faire plus pour aider leurs fils sur le plan scolaire. Quant à l’objectif 4, c’est tout le travail militant des mouvements paternels : défense des droits des pères, élargissement du congé de paternité, généralisation de la résidence alternée.
Quels sont les rapports entre l’hominisme et le féminisme ? Partons des quatre objectifs précités, et essayons d’établir des correspondances avec ce que furent, et parfois sont encore, les objectifs du féminisme (quand je parle de féminisme, je me réfère exclusivement à ce mouvement qui a combattu pour obtenir des droits sociaux égaux pour les femmes, et non à ses dérives revanchardes et misandres). Il est assez facile d’établir ces correspondances et de les présenter sous la forme du tableau suivant :
FEMINISME |
HOMINISME |
sortir du stéréotype féminin |
sortir du stéréotype masculin |
faire reconnaître les violences contre les femmes |
faire reconnaître les violences contre les hommes |
permettre la réussite des filles à l’école |
trouver des solutions à la sous-performance des garçons à l’école |
rendre leur place aux femmes dans la vie sociale |
rendre leur place aux hommes dans la famille |
Il apparaît clairement que l’hominisme n’est pas un mouvement de réaction au féminisme. Les deux mouvements ne sont ni semblables, ni opposés : ils sont symétriques. Comme sont, me semble-t-il, quantitativement équivalents et globalement symétriques les problèmes et les souffrances rencontrés respectivement par les femmes et les hommes depuis les débuts de l’humanité jusqu’à aujourd’hui.
L’hominisme est donc, par essence, antisexiste. Etant entendu que cet antisexisme est double : opposé à la misogynie, mais aussi à la misandrie.
Enfin, il me semble que l’originalité de l’hominisme est de ne pas se cantonner à des aspirations ou des revendications de groupe, mais de se positionner en convergence avec d’autres groupes et d’autres causes : celle des enfants, parce qu’ils ont droit à des pères présents et à des modèles d’identification ; celles des femmes, du moins celles - sans doute la majorité - qui ont expérimenté la vanité de la guerre des sexes, et veulent partager avec les hommes à la fois les tâches liées à l’éducation des enfants et celles liées à l’organisation de la société.
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Bien sûr, cette entreprise est considérable et suffit à mobiliser pleinement les énergies. Mais le mouvement est riche en potentialités et il peut aller plus loin encore.
« Plus loin », cela veut dire par exemple travailler à la réhabilitation et à la valorisation de la masculinité. La dégradation des modèles masculins est le fruit de la misandrie, mais aussi du spectacle affligeant donné par les « élites » contemporaines : politiciens corrompus, grands patrons véreux et autres sportifs dopés. A quoi bon vivre en tant qu’homme dans un monde où, en apparence, il n’y a plus d’hommes à admirer ? Pourtant il existe toujours des hommes intègres, courageux, aux desseins élevés, qui continuent d’agir, indifférents à la superficialité ambiante.
Je souhaiterais vous parler de l’un d’entre eux, un français qui s’appelle Denis Seznec, en me référant à ce qu’il a écrit dans Nous, les Seznec (Robert Laffont, 1992).
En 1923, son grand-père, le breton Guillaume Seznec est accusé, à l’aide de témoignages fabriqués, sans preuves et sans cadavre, d’un meurtre qu’il n’a manifestement pas commis. Après un procès truqué, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité, et envoyé au bagne de Guyane. Sa famille est ruinée et déshonorée, les enfants placés dans des pensionnats sous de faux noms. En même temps commence une longue lutte, menée par sa femme, puis sa fille, pour la révision du procès et la réhabilitation.
Au bagne, dans des conditions infernales, le bonhomme survit à tout. Sa femme meurt, usée prématurément. Vingt-quatre ans plus tard, à soixante-dix ans, encore debout, il bénéficie d’une grâce et revient en France. C’est là qu’il fait la connaissance du petit Denis, le deuxième fils de sa fille Marie-Jeanne.
Une nouvelle tâche l’attend : comme le père de Denis est mort alors que celui-ci n’avait que deux ans, c’est à lui qu’il revient d’élever son petit-fils. Grâce à lui, le jeune garçon échappera au syndrome du « père manquant ».
En effet, les rapports qui se nouent entre eux sont d’une intensité exceptionnelle. L’enfant est la dernière raison de vivre du vieil homme : « Grand-père avait reporté tout son goût de la vie, ou ce qui en restait, sur le petit bonhomme innocent qui ne lui demandait aucune justification ». Et il lui offre, en dépit d’une vie ravagée par l’injustice et les épreuves, une image d’homme remarquablement structurante : « Grand-père était grand, droit comme un arbre, avec des yeux très bleus, de beaux cheveux blancs et son costume. Il était plus beau et plus gentil que tout le monde. Il me tenait par la main, me recoiffait quand j’avais couru et me disait tout ce qu’il fallait. (...) C’était un homme fort comme une statue. (...) Il restait toujours calme. Il vous écoutait, vous regardait, et on arrivait jamais à lui mentir. ». En même temps, il fait du bagne, tel qu’il le raconte, un terrain d’aventures mythique, comme l’aime l’imaginaire des jeunes garçons : « Moi, je savais que c’était un endroit, très loin, sur une grande île dans la mer, avec beaucoup de soleil toute la journée et plein d’animaux sauvages et des oiseaux de toutes les couleurs aussi beaux qu’au Jardin des plantes dans la forêt vierge. ».
Bien qu’il ne discerne encore guère les ressorts de l’Affaire, l’innocence de son grand-père est pour l’enfant une évidence première : peu à peu grandit en lui le sentiment d’un devoir à accomplir, susceptible de remplir sa vie. Guillaume Seznec meurt alors que l’enfant n’a que sept ans. Plus tard, à l’âge de treize ans, ce sentiment se concrétise : « Je me suis alors promis, obscurément, de garder la tête froide toute ma vie et de consacrer celle-ci, comme ma mère, à soulever une montagne - celle du malheur tombé au hasard sur un homme et sa famille. Et dans quelque temps, ils allaient voir ! Non seulement grand-père me protégeait, mais il me rendait fort. Je ne pouvais m’empêcher de sentir qu’il avait confiance en moi pour défendre sa cause, et cette confiance me donnait le pouvoir absolu de devenir quelqu’un de bien. Soudain je me suis souvenu qu’il m’appelait « l’enfant du destin » quand j’étais petit. Pourquoi ? Encore un mystère, mais celui-là quasi-merveilleux au seuil de l’adolescence. » Et Denis Seznec, l’adulte, a tenu la promesse de l’enfant. Durant quarante ans, il a maintenu vivante la mémoire de l’affaire, par son livre, par des conférences multiples et dans les médias. En un parcours interminable, il a refait l’enquête, débusqué des faits nouveaux et déposé des requêtes en révision.
Et sa patience a finalement été récompensée, tout récemment : le 11 avril 2005, 81 ans après les faits, à l’occasion de la treizième requête, la commission de révision des condamnations pénales a décidé de transmettre le dossier Seznec à la Cour de révision, qui pourrait décider d’une annulation de la condamnation. Il n’est pas un héros militaire, révolutionnaire ou politique, avec ce côté inhumain qui a contribué à discréditer la notion de héros. Mais il est un héros tout court, par son entêtement sans faille, sa fidélité sans compromis, son efficacité qui ont permis non seulement de rétablir un honneur familial, mais aussi d’améliorer le fonctionnement des institutions judiciaires françaises. C’est ce genre d’homme que les associations masculines peuvent évoquer, populariser, utiliser comme référence. C’est aussi ce genre d’histoire que les pères peuvent raconter à leurs fils, pour compenser chez ceux-ci l’influence désastreuse des anti-modèles masculins.
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« Aller plus loin », cela peut vouloir dire aussi résister au processus mondial d’indifférenciation. Presque partout, les cultures, les paysages, les vêtements, les nourritures même s’uniformisent. Nombre d’êtres tombent sous la dépendance de Big Mother, cette mère abusive, manipulatrice qui, sous l’amoncellement des marchandises et des plaisirs futiles, parvient à leur faire oublier leurs désirs réels. Assujettis à des besoins artificiels, ils ne sont plus ni hommes, ni femmes - mais zombis, clones, peuple d’enfants en frustration perpétuelle. Face au processus, certains résistent et défendent l’originalité de leur langue, de leur musique, de leur région, de leurs traditions, etc... C’est-à-dire le droit à la différence et à la fierté.
L’hominisme lui aussi peut être de ce combat, en tant qu’il travaille à redécouvrir et à promouvoir chez les hommes les qualités les plus élevées et les plus authentiques - et en tant qu’il tend la main aux femmes qui ont de leur côté cette même aspiration. Lui aussi défend le droit de chaque sexe à sa différence (laquelle n’a rien à voir avec la différence artificielle générée par les stéréotypes) et à sa fierté : deux fiertés respectives qui n’ont pas vocation à se combattre mais à se nourrir et à s’élever mutuellement.
Patrick Guillot
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