Sarnia (extrait). G.B Edwards. 1982


 

Le samedi, il rentrait déjeuner à une heure et, l’après-midi, travaillait dans le jardin derrière la maison, ou alors partait à la pêche dans notre bateau. J’aimais bien aller pêcher en bateau avec mon père. Il me laissait tenir le gouvernail. « Si tu tires par là, le bateau va par là, disait-il, si tu tires dans l’autre sens, le bateau va dans l’autre sens. » J’avais compris le principe. Après le thé, il se lavait de pied en cap devant le feu, pendant que ma mère nous préparait, ma sœur et moi, dans l’autre pièce pour aller à la ville. Le temps que ma mère nous trouve enfin présentables, il avait déjà harnaché le poney et la carriole nous attendait. C’était une haute carriole avec des roues minces et une étroite banquette ; mon père s’asseyait à un bout, ma mère à l’autre, avec moi au milieu et ma sœur à mes pieds. Ca faisait une bien lourde charge pour le vieux Jack.
 
Le dimanche, mon père n’était pas autorisé à travailler au dehors, pendant l’absence de ma mère, partie avec Tabitha au service du matin, il devait rester assis devant la cheminée pour veiller à ce que toute l’eau des pommes de terre ne s’évapore pas et que la viande ne brille pas dans le four.
 
Il oublia un jour d’enlever les pommes de terre à temps et c’est l’unique fois où je vis ma mère se mettre en colère. Les autres fois, s’il commettait une erreur, elle poussait un grand soupir. Mais c’était tout. Cette fois-là, elle se mit à sa recherche et lui dit que décidément, dès qu’elle avait le dos tourné, elle ne pouvait pas lui faire confiance. Et c’est vrai que c’était de sa faute. Dès qu’il fourrait le nez dans son vieux journal, il oubliait tout au monde. C’était un journal de couleur rose appelé le « Police Budget » qu’il achetait chez Tozer dans Smith Street le samedi soir et qui publiait des photos de tous les meurtres qu’on commet en Angleterre : des femmes avec la gorge tailladée et du sang partout sur le lit ! Le dîner était toujours copieux le dimanche et si mon père avait pu faire ce qu’il voulait, il se serait offert une petite sieste après ; mais ma mère lui faisait endosser ses plus beaux habits et il devait s’asseoir sur le canapé dans la pièce du devant, au cas où des gens de la famille seraient venus prendre le thé. Je n’aime pas penser à mon père durant ces dimanches après après-midi. Je préfère penser à lui dans la carrière, où il était respecté par les hommes et serait peut-être devenu contremaître, s’il avait vécu.
 
La Tabby, comme on appelait ma sœur, était mise au lit tôt le dimanche soir, et ma sœur se rendait toute seule au service du soir. Dès qu’elle avait passé le portail, mon père disait : « Viens, fiston, on va faire l’école buissonnière ». Et on allait dans l’appentis derrière, en prenant la lampe s’il faisait noir. Il y rangeait ses burins, ses marteaux et sa scie, le bois, la colle et la ficelle. C’était durant ces dimanches soirs qu’il m’apprenait à fabriquer des cerfs-volants. J’ai toujours eu le meilleur cerf-volant de tous ceux que faisaient voler les garçons dans l’Ancresse Common ; et tout le monde savait que c’était le mien, parce qu’il était couvert avec le papier rose du « Police Budget » et toutes ces femmes égorgées s’envolaient haut dans les airs. Lorsque ma mère rentrait, on était tous les deux de nouveau dans la maison, assis comme deux anges de chaque côté de la cheminée.
 
Sarnia. G.B Edwards. Les lettres nouvelles, 1982, pp. 16-17


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