Infantôlatrie. Aldo Naouri. L’Express, 22 septembre 2003


 
 
Infantolâtrie
 
La course à la séduction de l’enfant au sein de la famille a affecté l’école, devenue elle aussi trop maternante.
 
Le soutien sociétal à l’instance paternelle, source symbolique de l’autorité, a définitivement disparu. Le père, réduit à son rôle géniteur et social, a été invité à devenir une mère bis. Ce qui le conduit, au détriment de l’éducation physiologique précoce liée à sa fonction, à se lancer avec la mère dans un concours, hautement toxique, de séduction de l’enfant. Cet investissement de la seule aura maternelle, conjoint à l’infantolâtrie qui en a résulté, a gagné les structures de nos sociétés, devenues elles-mêmes maternantes.
 
Ce phénomène a affecté le dispositif scolaire, dont on sait les problèmes qu’il doit affronter. Les enseignants ne sont pas seulement censés devoir combler le déficit éducationnel. Ils sont invités à accompagner l’enfant dans la découverte de son savoir, comme s’il avait un génie inné, et non plus à lui délivrer un savoir - on ne trouve d’ailleurs pas de mots assez durs pour stigmatiser une démarche qui, même si elle a fait ses preuves, est désormais méprisée au motif d’obsolescence.
 
Le résultat en est préoccupant. Car, si les milieux cultivés parviennent à doter tôt ou tard leurs enfants du minimum requis, il n’en va pas de même pour les autres. Le système actuel fabrique en effet tous les ans 60 000 enfants qui finissent leur parcours scolaire avec moins de 400 mots de vocabulaire. Quand on sait que le déficit lexical fait le lit de la violence, on a de quoi s’inquiéter sur l’avenir de cette masse en formation.
 
C’est avec cette grille de lecture de l’aventure humaine que j’ai travaillé pendant quarante ans. Les résultats que j’en ai obtenus m’ont conduit à publier ce qui passe pour un contre-discours malvenu par rapport à l’idéologie rampante environnante. Pour avoir tenté de faire comprendre la place et la nécessité de l’autorité - qui n’a rien à voir avec l’autoritarisme - j’ai gagné un titre de gloire : celui de pédiatre passéiste et rétrograde.
 
Je continue néanmoins de défendre les mêmes positions. Car je ne vois pas comment parler du malaise de nos sociétés sans parler du malaise de cette microsociété fondamentale qu’est la famille. Des familles qu’on enivre de la fascination des sortilèges de la technique et de la consommation, au mépris de dispositifs relationnels forgés par des millions d’années de tâtonnements. Les laisser aller dans cette direction, n’est-ce pas prendre, avec elles, le chemin le plus sûr vers la barbarie ?
 
Aldo Naouri, pédiatre


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