Pourquoi les vieilles sciences n’ont plus la cote. La Recherche, février 2006
Pourquoi les vieilles sciences n’ont plus la cote
Voilà une enquête qui fera date (1). Parfois contestée, la baisse d’intérêt des jeunes pour les études et les carrières scientifiques ne fait désormais plus de doute. Elle concerne tous les pays développés. Elle frappe particulièrement les disciplines classiques, la physique, la chimie et les mathématiques. Et l’on commence à comprendre pourquoi. En bonne logique, le remarquable travail mené par l’Organisation de coopération économique (OCDE) devrait créer une onde de choc, ébranlant jusqu’aux structures du système éducatif de maints pays.
Les sciences de l’ingénieur aussi
Les chiffres les plus alarmants font état d’une baisse nette du nombre de diplômés universitaires depuis 1995 en physique et chimie (les deux disciplines ne sont pas distinguées) et en mathématiques et statistiques (même remarque). La baisse affecte même les Etats-Unis, malgré l’apport des étudiants asiatiques. Elle concerne aussi le seul pays « émergent » entrant dans les statistiques de l’OCDE, la Corée du Sud. Plusieurs pays sont touchés par une baisse du nombre de diplômés en ingéniérie : Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Danemark, Etats-Unis, Royaume-Uni. Dans trois pays, on voit même une baisse nette du nombre total de doctorats en sciences et sciences de l’ingénieur, toutes disciplines confondues. Il s’agit de la France, des Etats-Unis et de l’Allemagne. Dans trois pays, on constate une baisse nette des entrants en sciences dans le supérieur : la France, le Japon et la Belgique (Flandre).
Le nombre total de diplômés en sciences et ingéniérie (S&E) continue d’augmenter, cependant. La baisse affectant les trois vieilles disciplines est en effet compensée (peut-on parler de compensation ?) par la faveur accordée à l’informatique d’une part, aux sciences de la vie d’autre part. Il faut bien distinguer ces deux catégories car la première est investie par les garçons, la seconde par les filles. Les filles sont majoritaires en sciences de la vie dans tous les pays, alors qu’elles forment moins du quart des étudiants en informatique et ingéniérie. Mais l’appétence des filles pour les sciences de la vie ne suffit pas partout à compenser la relative inappétence des garçons. Dans trois pays , dont la France, on assiste à une baisse nette du taux de croissance des diplômés en sciences de la vie. Précisons que la catégorie S&E n’inclut pas les disciplines médicales, qui ont le vent en poupe.
Si on regarde l’évolution des choix entre études scientifiques et non-scientifiques, l’évolution est plus contrastée. La part des bacheliers scientifiques est en baisse presque partout (exceptions : Finlande et Suède). Globalement, la part des étudiants en S&E est en baisse. presque partout (exceptions : Finlande et Suède). Globalement, la part des étudiants en S&E est en baisse. La part des doctorats S&E est en baisse partout, sauf en Corée du Sud et au Japon (la France connaît la baisse la plus forte). En revanche, la part des entrants dans le supérieur S&E est malgré tout en augmentation dans certains pays (Canada, Finlande, Corée du Sud, Etats-Unis).
Désaffection des têtes de classe
Un sujet d’inquiétude supplémentaire est la tendance d’une fraction croissante des têtes de classe de la fin du secondaire à tourner le dos aux études scientifiques universitaires. La complainte est enregistrée dans de nombreux pays. La Corée du Sud semble être le seul à avoir étudié la question en détail. Portant sur les 4% d’étudiants qui ont obtenu les meilleurs résultats au test national effectué pour entrer à l’Université, l’enquête coréenne montre une préférence croissante pour les études non-scientifiques ou médicales.
Comment expliquer un phénomène aussi profond ? Les experts ont entrepris un minutieux travail de compilation et d’exploitation des enquêtes et analyses menées dans les différents pays. Le matériau est aussi riche que difficile à interpréter. De ces constatations et opinions émergent les contours assez flous d’un faisceau de forces convergentes.
Commençons par les plus inattendues. L’explosion du nombre de divorces, par exemple. Les enfants restent le plus souvent avec leur mère. Or, qu’on le veuille ou non, c’est encore la figure du père qui est associée à l’intérêt pour les sciences et les techniques. Autre force à l’œuvre, sans doute plus décisive, l’explosion du secteur tertiaire. De moins en moins de parents travaillent dans l’industrie. La culture technique se perd, de même que l’évidence de son rôle dans l’ascenseur social. Enfin le succès des filles. Elles obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les garçons et sont plus nombreuses à entrer dans le supérieur. Dans plusieurs pays, elles sont mêmes plus nombreuses que les garçons à décrocher un diplôme de mathématiques. Mais elles continuent de manifester une préférence pour les matières qui impliquent du social, de l’humain, du vivant et le médical. Autre effet mécanique, celui de la diversification des formations proposées dans le supérieur (marketing à l’appui).
(...)
[L’article évoque ensuite toute une série d’autres explications]
(1) Declining Enrolment in S&T Studies. It is real ? What are the causes ? What can be done ? Working document, novembre 2005, novembre 2005. L’OCDE doit publier des recommandations à ce sujet en février 2006. La version définitive du rapport devrait être disponible à l’été 2006.
Olivier Postel-Vinay, journaliste
La Recherche, février 2006, n°394, pp. 56-59
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