La ressemblance des sexes. Elisabeth Badinter. Le Monde, 14 novembre 2001


La ressemblance des sexes
 
Il y a deux ans, lors du débat sur la parité, les militantes se sont donné beaucoup de mal pour justifier la modification constitutionnelle entérinant l’irréductible différence des genres. Elles n’ont cessé d’opposer l’homme et la femme et leurs caractéristiques respectives. A elle la modestie, la générosité, le souci des autres et de la vie en général. A lui le goût du paraître, l’égoïsme et la violence. Vieille distinction qui remonterait à l’origine des temps : elle préserve la vie, il affronte la mort.
 
 L’actualité de ces derniers jours vient démentir cruellement ces affirmations que l’on croit opportunes. Le 10 novembre, Le Monde nous apprend qu’une certaine Ana Belen Egües Gurruchaga, dite « Dolores », dirigeait ces dernières années les actions du sanglant commando Madrid et qu’elle-même venait de faire sauter une voiture piégée dans la capitale espagnole, blessant ainsi quatre-vingt-dix personnes. De surcroît, l’organisation dont Dolores est le chef avait presque mené à terme, en décembre 1999, le projet de détruire la tour Picasso, dans laquelle travaillent 5000 personnes.
 
 Au-delà de la comparaison de ladite Dolores avec Ben Laden, qui les renvoie tous deux dans le camp des fous fanatiques, il faut noter la filiation de cette dame avec les femmes terroristes allemandes et italiennes des années 1970 et s’interroger sur leur violence et leur désir de donner la mort. Affaire de testostérone ou d’histoire individuelle qui transcende la différence sexuelle ?
 
 Le 12 novembre, les radios nous apprennent que trois journalistes ont trouvé la mort en faisant leur métier en Afghanistan. Parmi eux, une jeune femme de 35 ans, Johanne Sutton, journaliste à RFI. Y a-t-il une différence de nature entre elle et ses deux compagnons ? On imagine la même peur au ventre, le même courage et leur commune capacité à mettre leur vie en jeu pour un idéal : nous informer.
 
 Les femmes grands reporters qui couvrent les guerres au risque de leur vie sont de plus en plus nombreuses. Je les regarde, les écoute et les lit avec la même admiration que leurs collègues masculins. Mais en plus, je leur voue une grande reconnaissance pour leur aptitude à faire mentir les vieux préjugés dans lesquels on veut toujours nous enfermer. En pensant à Dolores et à Johanne Sutton, il faut bien reconnaître enfin que le souci de la vie au risque de la sienne ne sont le produit d’aucun genre. Certaines femmes comme certains hommes osent affronter la mort, et certaines à l’égal des hommes peuvent l’infliger à d’autres. La grandeur, comme l’ignominie, n’a pas de sexe.
 
Elisabeth Badinter
 
Le Monde, 14 novembre 2001
  


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