L’homme sauvage et l’enfant (extrait). Robert Bly, 1990


 

L’homme sauvage et l’enfant (extrait). Robert Bly.
 
Les généticiens ont récemment découvert que la différence génétique entre hommes et femmes, dans l’ADN, dépasse à peine trois pour cent. Ce n’est pas beaucoup. Néanmoins, la différence existe dans chaque cellule du corps.
Nous savons qu’un grand nombre d’hommes d’aujourd’hui ont honte de ces trois pour cent. Certains ont honte à cause du passé historique, des systèmes patriarcaux dominateurs, des guerres démentielles, des rigidités depuis longtemps imposées ; d’autres hommes qui ont vu leurs père trahir la masculinité et ses valeurs ne veulent pas être des hommes : ils en sont néanmoins. Je pense qu’il est important pour ce siècle et pour ce temps de mettre l’accent sur ces trois pour cent qui font d’un être un homme, sans perdre de vue les quatre-vingt-dix-sept pour cent que les hommes et les femmes ont en commun.
Certains disent : « Soyons simplement humains, et ne parlons pas du tout de masculin et de féminin. » ceux qui disent cela imaginent qu’ils occupent le haut du pavé moral. Je dis pour ma part qu’il faut être moins catégorique, prononcer les mots masculin et féminin et ne pas avoir peur que quelque charpentier de la moralité fasse de ces vocables des boîtes où nous emprisonner. Nous avons tous peur des boîtes, et à juste titre.
Beaucoup d’hommes me disent qu’ils ne savent littéralement pas ce que signifie ce mot d’homme, ni s’ils sont de grandes personnes ou pas. Quand un homme d’un certain âge prend le risque de désigner certaines qualités masculines telles qu’il les voit, celui qui est plus jeune voit s’il en est loin, dans quelle direction ces qualités se situent, et s’il a envie d’aller dans cette direction. Désigner des traits simplement humains n’aide en rien le jeune homme. J’ai dit que certaines psychologues contemporaines croyaient qu’il fallait nommer également des qualités féminines, afin que la femme devienne une femme consciente au lieu d’être une femme inconsciente. Nommer est dangereux, car les noms peuvent se transformer en boîtes ; mais nous devons espérer que nous ferons mieux que par le passé.
Je ne crois pas que donner plus d’importance à l’initiation masculine agrandisse le fossé entre hommes et femmes. Un homme en qui le guerrier ou l’amant a été écrasé (et qui n’en prend pas conscience) est déjà loin des femmes. Il ne saurait en être plus éloigné.
...........Il y en a pour croire que « le travail de la masculinité » n’a d’importance que pour certains hommes, dits « sensibles ». « Toutes ces histoires de mythologie, c’est très bien pour les hommes sensibles. Ils en ont probablement besoin. Mais moi je vois les ouvriers quand ils déjeunent avec d’autres hommes : ils n’ont pas de problèmes de masculinité, eux. Ils n’y pensent même pas. Ce sont eux, les vrais hommes… »
Mais les jeunes journalistes, hommes et femmes, qui prétendent cela, croient-ils que les « manuels » ne ressentent pas de honte du fait d’être hommes ? Croient-ils que les maisons où ont grandi ces « vrais hommes » étaient des havres de bonheur ? Chaque fois qu’un homme lance des remarques insultantes à une femme qui passe, il manifeste généralement un double manque d’assurance, puisqu’il n’est pas conscient de sa propre honte.
De toute façon, l’opposition entre « hommes sensibles » et « ouvriers du bâtiment » n’a aucun sens. Les « cols bleus » et les trappeurs qui participaient aux conférences auxquelles j’ai assisté étaient aussi réfléchis et sensibles que n’importe quel professeur, responsable pédagogue ou thérapeute. Je crois donc que la honte – ou la fierté – des trois pour cent appartiennent à tous les hommes d’aujourd’hui, et non à certains seulement.
Notre devoir (et dans ce « notre » j’inclus toutes les femmes et tous les hommes qui écrivent sur les questions d’identité sexuelle) est de donner du masculin une description qui n’exclue pas le masculin chez les femmes, tout en frappant la corde qui résonne dans le cœur de l’homme. Personne ne dit qu’il n’y a pas d’autres cordes qui résonnent dans le cœur de la femme, mais dans celui de l’homme, il y a une corde basse qui fait trembler toute sa poitrine quand on parle comme il faut des qualités de la masculinité.
Notre devoir est de donner du féminin une description qui n’exclue pas ce qui s’en trouve chez les hommes, mais qui fasse résonner une corde importante dans le cœur de la femme. Une corde résonnera aussi dans le cœur de l’homme, mais j’ai idée que, dans celui de la femme, il y a une corde basse qui fait trembler toute sa poitrine quand on parle comme il faut des qualités de la féminité.
 
L’homme sauvage et l’enfant (1990). Seuil, 1992, pp. 306-308
 
 
 

 

 



Imprimer

Menu

Menu :