La virilité n’est pas un vilain défaut. Stéphane Clerget. 2015


 

 

LA VIRILITE N’EST PAS UN VILAIN DEFAUT

 

Oublions les idées reçues sur la virilité et reconnaissons les difficultés spécifiques que doivent surmonter les garçons à l’adolescence. On l’a vu, ils sont à bien des égards plus fragiles que les filles. Flottant dans une identité masculine dont les contours n’ont jamais été aussi flous, ils ont plus de mal à se construire dans une société qui peine à installer une véritable égalité entre les sexes.

Il devient urgent de rassurer les garçons en les aidant à se sentir bien dans leur masculinité. C’est la seule façon de ne pas souffler sur les braises d’une guerre des sexes qui, contrairement aux apparences, ne s’est jamais vraiment éteinte. Si, de nos jours, les garçons semblent plus mal dans leur peau,que les filles, c’est notamment parce que, à l’heure où la parole est une force, les garçons sont moins armés pour mettre en mots leurs ressentis, mais aussi pour s’affirmer et conquérir. Longtemps cette réserve toute masculine, cette façon de contenir, cette maîtrise des émotions fut valorisée. Aujourd’hui, on donne crédit à celui qui s’exprime et qui libère ses émotions.On est entré dans l’ère où l’expression émotionnelle participe pleinement de l’affirmation de soi et de la prise de pouvoir. Or, sur ce terrain-la, les filles ont plusieurs trains d’avance, pour des raisons culturelles, éducatives, physiologiques, génétiques, peut-être et somatopsychiques (dues à l’influence du corps sur le psychisme). Les valeurs dites féminines sont aujourd’hui beaucoup plus valorisées pour la réussite sociale. la force, voire la violence psychique, est désormais jugée très négativement, et tant mieux. Mais hélas ! c’est la virilité dans son ensemble qui est présentée volontiers comme un défaut à corriger. Pour aider les garçons, il faut leur permettre d’exprimer d’autres facettes de leur masculinité en les autorisant à se rendre, quoiqu’ils restent des hommes, sur le terrain dévolu aux femmes. En effet, le champ de la masculinité apparaît bien plus étriqué que celui de la féminité. Les filles continuent de se sentir femmes quand elles explorent les domaines qui leur étaient parfois interdits. Il n’en est pas de même pour les hommes.

Il ne faut pas hésiter à valoriser la virilité quand l’adolescent emprunte cette voie. Aujourd’hui, le mot "virilité" est devenu sinon péjoratif, du moins suspect. Il convient de le réhabiliter. Le "gars viril" se voit trop vite assimilé à une sorte de bovin macho. Pis encore, nombre d’adolescents imaginent que pour être virils ils n’ont d’autre choix que de l’être au détriment des femmes, en faisant preuve de machisme. Il faut balayer cette idée reçue. Valoriser la virilité, ce n’est pas favoriser le machisme. La virilité n’est pas plus condamnable que la féminité. Le machisme est fondé sur la certitude d’une supériorité du sexe masculin sur le féminin. La virilité n’a rien à voir avec cette conception.

Un garçon viril se définit par ce qu’il est , non par ce qu’il n’est pas. Il se sent différent des filles, ce qui, ne doit pas être considéré comme du mépris. Il ne juge pas pour autant les femmes inférieures. Si un un garçon est reconnu et soutenu dans ce qu’il est intrinsèquement et non en vertu d’une étiquette à laquelle il s’efforce de coller, il n’aura pas besoin de de se grandir ou de s’affirmer aux dépens de l’autre sexe. Mépriser le féminin, le dévaloriser, c’est une manière de dire, dans une terrible réaction de défense et de désarroi : "Voilà ce que je ne suis pas." Mais qui suis-je si je ne suis pas une femme ? C’est dans ce vide identitaire, où brillent par leur absence les modèles masculins auxquels il lui serait possible de s’identifier, que peuvent venir se nicher des réactions de mépris à l’égard des femmes. La virilité affirmée ne doit pas être dénigrée. Elle est une des facettes de la masculinité. Elle n’est pas la seule, mais elle n’est pas la moins acceptable. Elle ne résume pas la masculinité. Pas plus que la coquetterie ne résume la féminité.

Il ne faut pas non plus chercher à tout prix à enchérir sur les qualités "féminines" des garçons. Ne surtout pas les aider à retrouver une une féminité intérieure. Cette idée, dans l’air du temps et relayée par le discours culturel ambiant (publicité, cinéma, littérature, médias), part d’un postulat contestable : la sensibilité, l’intuition, la fantaisie, l’empathie, la douceur, la capacité à convaincre plutôt qu’à contraindre seraient des qualités spécifiquement féminines. En premier lieu, elles ne sont pas génériquement féminines puisqu’elles existent chez beaucoup de garçons. En outre, l’idée qu’un homme doit retenir ses pleurs et verrouiller ses émotions ne date que du XIXe siècle, qui l’a puisée dans l’Antiquité gréco-romaine. Au Moyen-Age,comme à la Renaissance, les hommes ne refusaient pas les larmes, s’épanchaient, exprimaient leur sensibilité et leur imagination, notamment dans l’art. Et même s’il est bon de proposer à l’enfant de développer des qualités qu’il n’a pas naturellement, quelles qu’elles soient, il il ne sert à rien de s’acharner. En revanche, il est important de valoriser et de cultiver les qualités auxquelles un enfant aspire, quand bien même il s’agirait d’un ensemble qui structure la virilité telle qu’elle est définie traditionnellement.

Tendons à l’enfant tous les modèles possibles, mais soutenons-le quand il fait un choix. Les qualités de combativité, de force, de compétition, d’abnégation, de courage, de hiérarchisation, de droiture, de fidélité, de corporatisme sont parfois moquées et jugées soldatesques et rétrogrades quand elles sont mises en avant par des hommes. Certaines de ces qualités ont été associées à la domination masculine et de ce fait diabolisées par les féministes. Pourtant, bien des femmes les possèdent et n’hésitent pas aujourd’hui à les mettre en avant, notamment dans le monde du travail, dans des postes à responsabilité, là où les valeurs et les qualités guerrières sont de mise. Mais voilà, quand une femme les exprime, elle fait preuve de caractère, ; quand cela vient d’un homme, on lui reproche de faire le mâle dominant, voire le macho.

Accepter de valoriser les qualités intrinsèques de chaque enfant en les rattachant à son identité de fille et de garçon sont les meilleures façons de l’aider à se sentir bien dans son identité sexuelle. N’hésitons pas à définir plus largement la virilité, comme cela fut fait pour la féminité. Un garçon calme qui aime lire ou jouer à la dînette, qui nourrit son poupon comme un papa son bébé, n’est pas moins masculin qu’un enfant très actif, qui escalade chaque rocher qu’il croise, qui aime la bagarre "pour de faux" et qui est passionné de foot. Quel que soit son type d’activités ludiques, il y joue avec son corps de garçon et son imaginaire de garçon. A l’inverse, une fille footballeuse ou qui veut être chauffeur de poids lourd n’a pas à être qualifiée de "garçon manqué", car elle a tout d’une fille épanouie dans son désir.

Là où l’identité d’un adolescent court un réel danger, c’est quand il n’est pas soutenu ni reconnu dans ce qu’il est intrinsèquement, dans ses qualités masculines, dans sa virilité. S’il ne trouve pas de modèle masculin valorisé qui corresponde à ses aspirations , il risque de se sentir mal dans sa peau, de se mésestimer, de perdre confiance en lui, de déprimer, de passer à l’acte, de devenir agressif ou encore de devenir macho, à défaut de devenir viril. Si c’est le sexe féminin qui apparaît dans son environnement comme le seul sexe valorisé, le sexe dominant, il pourrait chercher à se définir en opposition à lui.

(...)

Nos garçons en danger, chapitre 17. Flammarion 2015, p. 215-220

Voir aussi Il faut sauver les garçons ! : http://www.la-cause-des-hommes.com/spip.php?article328&var_mode=calcul



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