Pourquoi la pédophilie féminine est encore un tabou dans la société moderne. Philippe Genuit. Atlantico, 23 août 2013


 

[Les phrases colorées en gras le sont déjà dans le texte original]

 

Pourquoi la pédophilie féminine est encore un tabou dans les sociétés modernes

Avant-dernier épisode de notre série sur la sexualité féminine : pourquoi est-il si compliqué d’imaginer qu’une femme puisse se livrer à des actes pédophiles ?


Atlantico : La pédophilie est un acte qui dans l’imaginaire commun est presque exclusivement attribué aux hommes. Selon la criminologue Franca Cortoni, de Montréal, les femmes représenteraient 5% des délinquants sexuels. Pourquoi est-il si compliqué d’imaginer qu’une femme puisse avoir des actes de pédophilie ?

Philippe Genuit : Ces 5% évoquent le nombre de femmes condamnées à des peines d’emprisonnement (délits) et de réclusion (crimes). Ce sont des peines pour agressions sexuelles et viols dans lesquels des femmes ont été complices, actives et certaines fois initiatrices. Cependant, comme le montre une étude européenne, à laquelle a participé Coline Cardi, maître de conférence en sociologie à Jussieu, dans les processus de judiciarisation elles sont présentes à hauteur de 18 %  ; le taux de condamnation chutant par rapport à celui de mise en cause judiciaire. Cette chute de taux ne se retrouve pas dans la population masculine (cf. Pierre Victor Tournier). Cependant, si elles sont considérées coupables, elles vont être condamnées plus fortement que les hommes, comme l’indique le magistrat Xavier Lameyre, dans son livre sur les infractions à caractère sexuelles.

Le problème c’est qu’on conçoit aujourd’hui l’agression sexuelle sur un mode masculin. Dans les représentations de nos sociétés modernes, l’agression sexuelle est liée au pénis, donc les femmes ne peuvent pas être considérées comme actrices de ce genre de pratique. Alors que l’agression sexuelle peut se faire sans pénis et avec les doigts ou des objets. Il est difficile de concevoir une femme comme potentiellement capable d’actes d’infractions sexuelles. Elle est toujours d’une certaine façon vue comme le sexe faible, donc incapable d’être agressive, elle est forcément gentille et serviable. « Incapable, elle ne saurait être coupable », dit la féministe Michèle Perrot. Elle a une image de mère protectrice, on ne la pense pas être violente.

Enfin, les agressions sexuelles sont généralement perpétrées sur des femmes, d’où sa position de victime. C’est d’autant plus complexe de l’imaginer en agresseur. La société est très dichotomique sur ce point là. On remarque également que la plupart des femmes pédophiles réalisent leurs actes dans la sphère domestique : sur leurs enfants ou les enfants dont elles ont la charge.
 
Est-ce le dernier tabou de la sexualité féminine voire de la société ? Les actes de pédophilie féminine sont-ils aussi largement relayés dans les médias que les actes commis par des hommes, et pourquoi ?

C’est le "nouveau" tabou, mais pas le dernier, il y en aura toujours un autre qui viendra remplacer celui-là. Les figures de tabous se sont succédés. Par exemple, avant le pédophile, le vagabond créait tout un climat de peur. La pédophilie féminine est en tout cas actuellement le tabou qui est certainement le plus insupportable aux yeux de la société. C’est quelque chose qu’on ne peut pas imaginer  ; quand la femme est dans une position qui au final est considérée depuis des lustres dévolue à l’homme.

Récemment, une professeure a eu un rapport avec un élève. On observe très clairement que le regard social n’aurait pas été le même s’il s’était agi d’un homme. On pense que la femme a forcément des sentiments et de l’amour contrairement à l’homme. Le constat est que les traitements sont différents. On parle du prédateur sexuel, jamais de la prédatrice. Ce phénomène n’est pas unique aux médias, même chez les spécialistes on parle quasi uniquement de « pervers narcissique » au masculin par exemple.

Les rapports sexuels de femmes avec des mineur(e)s sont minimisés, quelque fois sous le vocable de couguars, en comparaison de la dramatisation des mêmes faits au masculin. Peut-être serait-il pertinent de comparer les conséquences traumatiques de ce qui est minimisé ou dramatisé socialement ?
 
La pédophilie féminine est-elle semblable à la pédophilie masculine ? Quelles sont les différences ? Les prédateurs et les prédatrices ont-ils les mêmes "motivations" ?

Tout dépend de quel point de vue on se place. Sur le plan biologique, les différences sont évidentes : le sexe extérieur de l’homme, et le sexe intérieur de la femme, les hormones qui ne fonctionnent pas identiquement chez le mâle et la femelle. Cependant les deux sexes ont accès à l’agressivité de la même façon. C’est le poids de la société et de l’éducation qui joue un rôle primordial et qui fausse notre regard.

Bien entendu, nous constatons des modes opératoires différents, mais cela est, semble-t-il, à mettre en perspective avec des modes opératoires criminels différents selon les sociétés, les pays, les époques, les religions. Il est bon de se rappeler que le crime sexuel, le plus honni et condamné a longtemps été chez nous, et reste en de nombreux pays du monde l’adultère féminin ; loin de nos préoccupations occidentales actuelles.

Les femmes et les hommes n’ont pas des désirs sexuels très différents que ça soit dans la normalité ou pas. Les hommes sont soi-disant plus dominateurs, mais les femmes aussi peuvent avoir ce genre de rapport. Les « motivations » sont semblables dans le sens où les deux sexes ont des désirs sexuels identiques à la base. Les différences sont plus culturelles que naturelles, et le socius modélise plus les différences que les hormones et les pulsions.
Le problème psychologique s’explique-t-il de la même façon pour une femme que pour un homme ? Le traitement est-il le même ?

Le débat sur la castration masculine des délinquants sexuels a lieu en ce moment même. Mais alors comment castrer une femme ? On pense à tort que l’homme ne veut que du sexe, et que les femmes ne peuvent pas dissocier sexe et sentiments. La question est de savoir quelles sont les différences que nous avons construites. La femme fonctionne-t-elle si différemment de l’homme ? Psychologiquement non, ce sont les conséquences sociales de la façon dont ses désirs sont intégrés dans la société. Les femmes délinquantes sexuelles ont des envies semblables à celles des hommes dans le même cas.

Dans la question des viols violents, beaucoup d’hommes sont impuissants et violent avec autre chose que leur pénis. Ce qui les excite c’est plus l’humiliation, la domination plus qu’un désir sexuel, qui souvent est la conséquence d’un abus ou d’un mésusage du pouvoir.

Propos recueillis par Manon Hombourger
 
Atlantico, le 23 août 2013

Philippe Genuit est psychologue clinicien au Centre Ressource pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (Criavs) de Midi-Pyrénées à Toulouse
 


Imprimer

Menu

Menu :