Une société de violeurs. Marcela Iacub. Fayard, 2012 (extraits)


 

[Marcela Iacub a écrit ce livre pressée par l’actualité de l’affaire DSK, à laquelle les trois premiers chapitres sont consacrés. Il est dommage qu’elle s’appuie sur cette affaire nébuleuse, alors que tant d’affaires ont touché des hommes dont l’innocence apparaît avec une absolue clarté. Par contre, les chapitres 4 et 5, qui ont une portée générale, décryptent magistralement l’image misandre des hommes qui sous-tend les fausses accusations d’abus sexuel. C’est de ceux-la que sont tirés les extraits reproduits ci-après. Les sous-titres sont de nous.]

 

Une société de violeurs. Marcela Iacub. Fayard, 2012 (extraits)

p. 91-92

[Toute accusation féminine est posée a priori comme crédible]

Comme l’écrit Francis Caballero, la notion de contrainte sexuelle est devenue tellement facile à établir qu’un homme accusé de viol par une femme avec laquelle il a entretenu un rapport sexuel doit, pour convaincre les juges du contraire, prouver qu’elle était mythomane, qu’elle avait des désirs de vengeance ou un intérêt financier à l’accuser. Ainsi, l’examen de la crédibilité de la parole de la femme qui accuse un homme de l’avoir violée semble le seul obstacle de taille pour obtenir une condamnation pénale, obstacle que les mouvements féministes voudraient éliminer. Concrètement, cela revient à ce qu’une femme qui a entretenu avec un homme un rapport sexuel puisse invoquer la force, la menace, la surprise sans que la sincérité de sa parole puisse être mise en cause. De fait, il suffirait que l’existence de ces formes de la contrainte sexuelle soit vraisemblable selon les critères actuels, qui sont déjà très larges et donc peu soucieux des droits des accusés pour qu’un homme soit condamné pour viol. C’est un tel changement que ces mouvements faire advenir lorsqu’ils réclament que la parole de la femme qui accuse un homme de viol devrait être présumée vraie d’une manière irréfragable.

p. 92


[La sidération psychique]

La deuxième revendication, celle de la création d’une nouvelle forme de la contrainte sexuelle résultant de la « sidération psychique », qui s’ajouterait à la force, à la menace et à la surprise, est encore plus radicale que la première. Elle suppose une contrainte de type psychique qui n’est pas perçue comme telle par l’homme avec lequel une femme a un rapport sexuel car cette dernière a l’air de consentir, voire peut croire sur le moment qu’elle consent. L’admission de la « sidération psychique » pour établir l’absence de consentement reviendrait à ce que le seul fait d’avoir entretenu un rapport sexuel avec un homme en dehors de toute vraisemblance d’une quelconque contrainte objective (force, menace, surprise) suffise pour le faire condamner pour viol. En outre cette parole ne devrait même pas être soumise à l’examen de crédibilité. La seule défense que l’accusé pourrait opposer, c’est qu’il n’a pas entretenu, en vérité, de rapport sexuel avec celle qui le désigne comme son violeur.

p. 100-103


[La vision misandre de la société]

Leurs écrits nous montrent que, même si nous ne nous en apercevons point, nous, les femmes, vivons dans une sorte d’enfer. En effet, sous les dehors pacifiés d’une société comme la nôtre, les filles, les femmes, les mères, les épouses, les copines de classe, les collègues de travail sont soumises à des regards lubriques, à des bousculades, à des coups, à des mots méprisants, à des humiliations, à des attouchements, à des meurtres, à des viols, à des discriminations, à des refus de services au motif qu’elles sont des femmes. Comme si tant de violence ne suffisait pas, chaque fois qu’un homme commet l’un de ces actes, il signifie à une femme son infériorité, sa dépendance, il la menace, il l’humilie et la rabaisse non seulement en tant qu’individu mais aussi en tant que membre d’une classe inférieure : le genre.

Le message que les mâles sexistes adresseraient aux femmes serait plus ou moins le suivant : ne faites pas trop les malignes, ne paraissez pas libres et autonomes ; car autrement on va vous mettre « à votre place ». C’est pourquoi, lorsqu’une femme est agressée, toutes les femmes le sont. Cette haine omniprésente que les hommes ressentent et expriment envers les femmes constitue ces dernières en groupe, en minorité opprimée. Ainsi, l’identité féminine est fondée sur cette persécution et cette haine. Et le viol en tant qu’acte de domination ultime ou maximal est le lieu par excellence de cette identité dominée. C’est le moment où cette domination se montre dans sa vérité, dans son essence même. Au point que, aux yeux de certaines auteurs, on devient femme par le viol. C’est pourquoi aussi, comme je tenterai de le montrer, on s’émancipe de cette oppression par la dénonciation, et la condamnation de son violeur.

En problématisant le viol dans ces termes, cette théorie s’oppose à celle qui fonde nos lois actuelles. En effet, dans ces dernières, le crime de viol est un acte qui porte atteinte à un individu et non pas à une classe d’individus. Les hommes peuvent donc être violés tout autant que les femmes, lesquelles, en outre, peuvent violer les premiers. Par ailleurs, dans notre droit, le criminel sexuel est conçu comme une sorte de maladie incurable, comme un pervers et donc comme un être exceptionnel et rare. C’est pourquoi, depuis quelques années, tandis que les dispositions prévues dans les lois n’ont cessé de s’aggraver à leur endroit, le nombre de personnes incarcérées pour ces délits et ces crimes est resté relativement stable. Cela signifie, en substance, que ces lois étaient en train de produire une population aussi stigmatisée par sa monstruosité que relativement réduite. Or la théorie du viol sexiste rompt ces équilibres. Dorénavant, c’est l’ensemble de la population masculine qui est soupçonnée d’être composée de violeurs en puissance. Les militantes n’ont pas cessé de le mettre en avant : il s’agit d’un crime ordinaire, quotidien. Car le machisme n’est pas une maladie mentale, mais politique ; il suppose des intérêts de groupe, il cherche à tirer des profits de la classe des femmes, c’est une affaire de pouvoir. C’est pourquoi le projet d’incarcérations massives qu’elles visent (75 000 condamnations par an pour le viol seul) impliquerait de mettre en place des structures pénitentiaires plus proches des camps de concentration que des prisons actuelles.

p. 109-110


[Les hommes en prison !]

Ainsi, sous cette expression du viol comme acte de domination ultime, on doit entendre, en vérité, que la qualification d’une relation sexuelle comme étant contrainte est le pouvoir suprême qu’une femme doit avoir dans une société juste et qui aspire à l’égalité entre les sexes. Et ce pouvoir suprême se manifeste au moment d’une plainte pour viol. C’est cette parole qui donc ne peut être contredite, mais doit être enregistrée comme étant vraie. Accorder un tel pouvoir aux femmes implique de faire du lieu même de leur oppression maximale celui de son propre retournement.
Cela explique l’enthousiasme que ce mouvement manifeste envers la prison tout en se présentant comme étant de gauche et d’avant-garde, et donc hostile aux politiques sécuritaires et répressives que l’on applique à la délinquance ordinaire. A ses yeux, cette vieille machine à punir est la voie royale pour inverser les rapports de force dans la société. C’est ainsi que l’on relie les punitions des uns aux punitions des autres, que la prison devient le centre des utopies politiques de ce mouvement et que l’on confond l’émancipation des femmes avec la fonction policière, ou plutôt que l’on crée une théorie policière de l’émancipation des femmes.

p. 134


[Une nouvelle culpabilisation de la sexualité]

Car ce que le féminisme radical cherche, c’est que le dégoût, la faute, le mépris du sexe, loin de disparaître, soient portés par les hommes, comme jadis ils l’étaient par les femmes. Pour ce faire, il cherche à inverser les rôles des victimes et des bourreaux de la période qui a précédé la révolution des mœurs. Ainsi, la faute de la prostituée se déplace vers son client, celle de la fille facile vers le mâle dominateur, celle de la séductrice vers l’abuseur. L’important, c’est qu’il y ait des figures qui incarnent l’horreur du sexe et qui en payent les conséquences, afin que cette activité soit toujours quelque chose d’exceptionnel, de dangereux, de sale et de difficile. La théorie de la domination sexiste est, comme l’ont été jadis les bonnes mœurs et la morale chrétienne, la justification « rationnelle » de la survie de cette horreur. Les politiques publiques, terrifiées par la possibilité qu’ouvrait la révolution des mœurs de voir le sexe banalisé, se servent du féminisme radical pour justifier la création de règles si répressives que la peur des abus et des châtiments finira par restreindre, comme jamais les sociétés occidentales ne l’avaient fait auparavant, la vie sexuelle des personnes.

 

 

 

 

 

 

 

 



Imprimer

Menu

Menu :