DOSSIER : prises de position en faveur du maintien de la transmission automatique du patronyme / auteur(e)s divers(e)s


Prises de position en faveur du maintien de la transmission automatique du patronyme
 
 
Joana Balavoine.
Mon père, ma fierté
Entretien avec Paris Match (Didier Varrod), 16 décembre 2015
 
Paris Match. Joana ­Balavoine… Pourquoi n’as-tu pas gardé le nom de ta mère ?
Joana Balavoine. C’est une belle ­histoire que ma maman m’a expliquée à l’adolescence. Je suis née en juin 1986, mon papa est mort cinq mois avant… Et, naturellement, comme ils n’étaient pas mariés, je portais le nom de ma mère. Sauf qu’elle a souhaité, tout de suite après ma naissance, que je puisse aussi porter le nom de mon père. Notre avocat, Sylvain Jaraud, a engagé à ma naissance une ­procédure judiciaire pour me faire reconnaître post mortem par mon père et, donc, pour porter son nom… Il a fallu faire des démarches administratives un peu fastidieuses, qui finalement ont abouti. En effet, juste avant sa disparition, papa avait plusieurs fois annoncé à des médias que maman était enceinte, ce qui attestait ainsi de la véracité des faits. C’est donc grâce aux journaux que je porte mon nom. [Rires.] Et, effectivement, sur mon acte de naissance, il y a le nom de jeune fille de ma mère qui est barré et Balavoine inscrit juste à côté. C’est une jolie histoire.
 
Et tu n’as jamais eu envie de renoncer à ce nom célèbre ?

Dans ce nom, Balavoine, il y a l’idée de se battre. Et il y a la voix. Si on va plus loin, on peut même y lire qu’il va falloir avoiner. [Rires.] Pourquoi je changerais un tel étendard ? Ça donne des ailes.

 
 
 
Brigitte Lahaie
dans Hommes, je vous aime. Anne Carrière, 2009, pp. 116-117
 
J’ose également affirmer que je suis contre cette nouvelle loi qui permet d’accoler le nom de famille de la mère à celui du père. Si je crois aux valeurs féminines et masculines qui cohabitent en chacun de nous, il me semble nécessaire de donner à la société des repères clairs. Le nom du père est le socle sur lequel se construit une famille. Y mettre du féminin, c’est instaurer une confusion. C’est tenter d’oublier qu’un petit sera toujours issu d’un mâle et d’une femelle. Nous ne pouvons nous comprendre que lorsque nous avons vraiment assimilé notre lignée, maternelle et paternelle. Or les questions de filiation sont plus souvent abordées chez, et par, les femmes, sans doute grâce à cette capacité d’introspection plus inhérente à la nature féminine. Le nom de famille nous oblige à nous confronter à la lignée paternelle de nos origines. Pourquoi, à une époque où les pères sont en danger, vouloir supprimer cette trace indélébile ? Nous partons vers l’extrême inverse.
 
 
Natacha Polony
dans L’Homme est l’avenir de la femme. JC Lattès, 2008, pp. 125-126
 
Alors que les lois régissant le droit de la filiation donnent tout pouvoir à la femme, d’autres s’efforcent d’effacer définitivement toute trace du père. La récente loi sur les noms de famille autorisant à inscrire sur l’état civil le nom du père et celui de la mère, afin que l’enfant puisse éventuellement choisir plus tard, a une conséquence : effacer potentiellement toute trace de la lignée paternelle. A défaut d’enfanter, les hommes transmettaient jusqu’à présent leur patronyme, autrement dit « le nom du père ». Celui-ci attestait que cet enfant, quelle que soit d’ailleurs la vérité biologique de ses origines puisqu’elle n’était jamais certaine, serait élevé par cet homme-là qui lui transmettrait, en plus de son nom, son histoire et ses valeurs. Une filiation symbolique, une « reconnaissance ». Exit, donc, ce père et sa lignée. Pour des raisons d’égalité, bien sûr : on met enfin sur le même plan lignée maternelle et lignée paternelle. Sur le même plan, vraiment ? Mais la mère a pour elle l’enfantement, le lien du cordon ombilical.
 
 
Michel Schneider
dans La confusion des sexes. Flammarion, 2007, pp. 80-83
 
Choisir son nom
 
Voulue par la gauche, entérinée par la droite, une loi de 2004 mit fin à la transmission automatique du nom du père et substitua à la notion de patronyme celle de nom de famille. Le nom était unique, obligatoire, immuable, paternel. Il peut être aujourd’hui double, choisi, mutable et maternel. Quant aux conséquences sociales et individuelles de la réforme du nom, on peut se poser trois questions : Etait-il juste que le nom fût de tradition celui du père ? Quelle est la fonction psychique du nom propre ? Peut-on choisir ou modifier (et avec quels effets psychiques) le nom de ses enfants ?
 
Dans les débats parlementaires et les commentaires des juristes l’argument était le même : l’égalité des hommes et des femmes rendait nécessaire la transmission soit du nom du père soit de celui de la mère, soit les deux accolés dans l’ordre de leur choix. Unissant dans une même réprobation la transmission obligatoire du patronyme et l’inégalité des hommes et des femmes, c’est le bon vieux cliché d’une domination masculine qu’il faudrait détruire. Il y a eu des sociétés patriarcales où le nom de la mère était transmis (en Espagne depuis l’occupation arabo-musulmane) et des sociétés matrilinéaires où le nom du père dominait. Mais peu importe. On observera que, de toutes façon, les noms que transmettront les mères qui auront choisi leur propre nom seront les noms de leur père et que ce mode de transmission n’était pas une revendication défendue par un nombre significatif de femmes ? Deuxième constat : en Europe occidentale, dans une écrasante majorité, et malgré des systèmes majoritairement très souples, c’est encore le nom du père qui est choisi. Est-ce si contradictoire ? Faut-il concilier par la loi ces deux tendances et comment ? Les progressistes veulent aligner les règles du nom de famille sur le fait maternel, les réactionnaires voudraient voir revenir la famille vers un système paternel que le patronyme symbolisait.
 
C’est mal situer la question de la transmission du nom qui n’est pas un problème d’égalité des droits entre hommes et femmes mais concerne la transmission du statut de sujet, transmission qui appelle au contraire une dissymétrie entre parents et enfants et entre père et mère. La transmission paternelle du nom de famille ne relevait pas d’une inégalité « horizontale », où le père posséderait quelque chose qu’il pourrait donner et pas la mère, mais d’une asymétrie verticale entre quelqu’un qui transmet à l’autre son propre manque à être. Le changement de régime du nom s’inscrit dans la préférence contemporaine pour l’horizontal sur le vertical, le pacte sur la loi, le choisi sur le transmis. Le mariage, institution verticale (dans le temps « veut dire promis ») comme dans l’ordre générationnel (le but est d’assurer le cadre de l’éducation des enfants), devient horizontal (Pacs, mariage homosexuel, simple arrangement un peu formel d’un couple).
 
 
Jacqueline Schaeffer
dans L’Express, 9 mai 2005, p.86
 
Au nom du père
 
La transmission du nom symbolise la reconnaissance de la paternité
L’émancipation des femmes a été une conquête tardive. Les mouvements féministes des années 1970 leur ont donné la possibilité de dissocier consciemment leur désir érotique de leur désir de procréation, et le pouvoir de décider d’avoir ou non des enfants. La reconnaissance des femmes en tant que sujets et la revendication d’une égalité entre les sexes dans la sphère politico-économico-sociale représentent un combat légitime, à mener constamment. A condition, toutefois, que l’égalité ne soit pas confondue avec une abolition de la différence entre les sexes, ce qui ne peut qu’être dommageable dans la sphère de la sexualité érotique.
 
Mais que penser de ce nouveau champ d’égalité entre les sexes, celui de la transmission du nom de la mère, à l’égal de celui du père, ou parallèlement ? La transmission des noms des deux parents à leurs enfants existe, certes, dans d’autres cultures, mais, dans la chaîne généalogique, d’une génération à l’autre, c’est le nom du père qui prédomine.
 
A la différence du maternel, qui est charnel et érotique chez les femmes, la paternité ne fait pas partie intégrante de la sexualité des hommes. Elle s’impose par un acte de mariage ou un acte de reconnaissance, qui aboutit à donner à l’enfant le nom du père. Le pouvoir des femmes réside dans leur capacité procréatrice, que les hommes peuvent leur envier. Mais la transmission du nom du père a une valeur symbolique. Sa fonction paternelle, dans la réalité, impose la séparation de l’enfant de la mère et initie son entrée dans le monde social et culturel. Elle est nécessaire à la création de la limite, des limites, celles de la différence des sexes et des générations, indispensables au développement psycho-sexuel et intellectuel du petit d’homme.
 
On sait que l’absence ou l’effacement des pères est un danger pour l’enfant, s’il ne se trouve pas un appui identificatoire efficace.
 
On sait aussi que la perversion sexuelle, dont on prétend qu’elle n’existerait pas chez les femmes, trouve un terrain d’exercice privilégié : celui du maternel. Ce champ peut être livré à toutes les déviations si le père ne vient pas étayer l’enfant, l’aider à construire un espace et un temps qui lui soient propres. L’homme, le père, doit venir arracher l’enfant à la nuit des mères, aux reines de la nuit.
 
Au nom de l’égalité des sexes, au nom de la mère, qu’on ne prive pas les hommes d’un mode de transmission de la vie, celle du nom du père !
 
 
Jean-Pierre Winter
« L’ancienne loi marquait les deux filiations », Elle, 4 avril 2005, p.120
 
ELLE. Que signifie symboliquement le nom ?
 
Jean-Pierre Winter. Il désigne l’identité, vous situe dans une filiation, et éventuellement dans un groupe humain, un peuple, un continent. Et surtout, jusqu’ici, il vous désignait comme étant la fille ou le fils de quelqu’un . C’est un lien avec une origine lointaine qui nous associe à l’humanité.
 
ELLE.. En quoi le nom du père est-il si important ?
 
J-P.W. Parce qu’il atteste que l’enfant a été reconnu par lui et donc qu’il n’appartient pas à la seule emprise maternelle. Pour pouvoir se structurer, un enfant doit passer par certains renoncements (pour lui, à faire un tout avec sa mère, et, pour la mère, à faire de son enfant son objet, sa chose). L’ancienne loi symbolisait cette nécessité psychique vitale pour l’enfant. C’était la seule manière de marquer les deux filiations. On est loin de l’argument de la domination patriarcale ! Les féministes ont confondu égalité et symétrie.
 
ELLE. Quels problèmes vont se poser ?
 
J-P.W. Le système d’avant avait deux avantages : la simplicité et le fait que l’on recevait un nom qui n’avait pas été choisi. Maintenant c’est l’enfant qui va décider, au moment où il deviendra parent, quel nom il va transmettre et quel nom il va effacer. On demande aux gens d’effacer un nom ! Pourtant tous les psys vérifient dans leur cabinet ce mot de Freud : « Changer une lettre d’un nom, c’est commettre l’équivalent du meurtre du père . » En demandant d’effacer un de leurs noms, on met les gens, sous prétexte de choisir, en position d’effacer radicalement une partie de leur filiation. Sans compter les évolutions dans le temps : par exemple une mère à 20 ans peut vouloir effacer le nom de son père, alors que, à 30 ans, elle aurait plutôt choisi d’effacer celui de sa mère ! C’est comme un condamné à qui on demande de fermer lui-même sa serrure ! C’est fou.
 
 
Sophie Marceau
entretien avec « Elle », 4 avril 2005, pp. 84-88 (extrait)
 
ELLE. Que pensez-vous de la loi qui permet aux femmes de transmettre leur nom à leurs enfants ?
S.M. C’est le dernier bastion de la paternité qui tombe ! Moi, j’aime que mes enfants portent le nom de leur père. J’ai l’impression de donner au papa quelque chose dont je n’ai pas besoin, j’ai déjà un rapport tellement privilégié avec mes enfants !
ELLE. Les mères occupent-elles encore une place plus importante que les hommes auprès des enfants ?
S.M. Non, les deux sont indispensables, comme le laisse mesurer le vide qu’un couple creuse en se brisant. Je suis souvent seule avec mes enfants, et je me dis que je me débrouille très bien comme ça. Mais quand le père arrive, je réalise qu’il joue un autre rôle que moi, qu’il est irremplaçable auprès de l’enfant, c’est comme un puzzle qui se reforme.
 
 
Michel Schneider
dans Big mother, psychopathologie de la vie quotidienne. Odile Jacob, 2002, p. 208-209
 
(…) Le système du nom patronymique assure l’équilibre entre une mère qui conçoit le corps de l’enfant et un père qui lui donne son nom – Hannah Arendt dirait : la vie d’un côté et le monde de l’autre. Il n’empêche pas la mutualité d’une éducation dans laquelle le père contribue à façonner le corps et la mère à transmettre la pensée du monde. Les conséquences psychologiques et anthropologiques de cette réforme ne relèvent pas d’une question de fait : dans les pays où la transmission est libre, l’immense majorité des couples choisissent le nom du père, de même que les concubins en France, comme si était perçue la dimension structurante de cette différence entre deux registres de transmission. Ce qui est remis en cause par la réforme en cours n’est pas de l’ordre de la domination masculine, mais de la constitution de l’identité sexuelle et symbolique. Le choix – ou le changement ultérieur – du nom propre met en question la figure du père car, malgré les modifications de la loi de 1972, né dans ou hors mariage, sauf si le seul parent à le reconnaître est la mère, l’enfant porte encore le nom de son père. Au terme d’une évolution législative qui a eu pour conséquence un effacement progressif du père, la transmission du nom par la mère lui donnerait le dernier pouvoir concernant la place de l’enfant dans la famille. Dissocier le nom de la filiation est non seulement rompre un édifice juridique bicentenaire, c’est réduire la filiation à l’engendrement, puisque ce qui les différencie est précisément l’ordre symbolique dont le nom forme l’axe. L’actuel système, où la femme mariée peut utiliser le nom de son mari et le substituer à celui de son père, ne signifie pas que la femme ne cesserait d’appartenir à celui-ci qu’en appartenant à celui-là. Il symbolise le fait que la femme cesse d’appartenir à sa mère et à son propre devenir mère. Qu’est-ce que le nom ? Ce presque rien que transmet le père pour que la mère ne soit pas tout. Transmet, pas donne. Le père ne fait que passer à ses parents le nom que son père lui a passé. L’actuelle règle de transmission paternelle du nom de famille n’est donc pas une question d’inégalité « horizontale » entre hommes et femmes, où le père posséderait quelque chose qu’il pourrait donner, et pas la mère, mais d’asymétrie verticale entre quelqu’un qui transmet à l’autre son propre manque à être. Evidemment, la transmission du nom du père comme nom de famille ne garantit pas que l’enfant inscrive son histoire et son désir sous ce que la psychanalyse nomme après Lacan le « nom-du-père » et qui est tout simplement la séparation d’avec le corps de la mère. La fonction paternelle permet à l’enfant d’acquérir son identité de sujet par cette nomination non choisie. Avec la transmission d’un matronyme, cette inscription devient impossible
 
 
Didier Dumas
dans Sans père et sans parole, Hachette Littératures, 1999, p. 71
 
Le nom que l’on donne à porter à l’enfant est le pivot de sa structure mentale. L’accueillir dans son nom, c’est l’accueillir dans le langage et assumer d’être pour lui une instance constructive de démarquant de sa mère. Accueillant l’homme et sa semence, la mère accueille l’enfant dans son corps pour qu’il y construise le sien. Reconnaissant le bébé qu’elle met au monde, le père l’accueille dans ses structures mentales pour qu’il y enracine les siennes. Voilà la principale raison qui justifie que les pères donnent leur nom aux enfants. Se reconnaître père, c’est assumer d’être une instance responsable de l’enfant, mais c’est surtout se positionner face à lui d’une façon radicalement différente de celle qui le relie à sa mère. Se reconnaître père, c’est assumer d’être une instance responsable de l’enfant, mais c’est surtout se positionner face à lui d’une façon radicalement différente de celle qui le relie à sa mère. L’accueillir dans son nom, c’est le reconnaître comme le fruit de son désir, mais c’est aussi et surtout le considérer comme le fruit d’une pensée antérieure à sa conception matérielle.
 
Chez les être parlants que nous sommes, éjaculer n’est que la conséquence d’un acte de pensée. Reconnaître un enfant est, de ce fait, l’accueillir dans les pensées, les affects, les sentiments et les propos, qui ont décidé de sa venue. Un père ne fait pas connaissance avec son bébé. Il le reconnaît. Or, que reconnaît-il en son enfant, si ce n’est le désir lui ayant permis de le faire ! Il n’existe pas d’autre raison à l’emploi de ce mot. Voilà ce que représente le « nom du père ». Il représente la somme d’affects, de plaisirs, d’échanges et pensées qui ont permis à deux cellules de se rencontrer dans le corps d’une femme.
 
 
 

 

 

 



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