Des hommes à la crèche ! Didier Dillen. Familles, mars 2006


 
Des hommes à la crèche !
 
Verra-t-on bientôt plus d’hommes travailler dans les crèches ? Peut-être. Un peu partout en Europe, un mouvement, encore très timide, tente d’ouvrir le milieu de la petite enfance aux messieurs. Pour faire progresser l’égalité des sexes, mais surtout, dans l’intérêt de l’enfant lui-même. 
 
Le mot puéricultrice à beau avoir son équivalent masculin, l’accueil en matière de petite enfance reste exclusivement féminin, ou presque. Comme l’enseignement maternel et primaire d’ailleurs. Quelques chiffres suffisent pour fixer les idées. En Europe, seul 2 à 3 % d’hommes sont actifs dans ce domaine. En Flandre, le travail auprès des moins de trois ans dans les crèches collectives mobilisait, en 2002, à peine 12 hommes sur 3417 professionnels, soit 0,35% ! Les services extrascolaires faisant à peine mieux avec 2,68 % de messieurs. Et en communauté française ? C’est le brouillard le plus total. En l’absence de chiffres officiels, on se borne à constater qu’ils sont une infime minorité. Selon une étude européenne, près d’un homme sur trois (27%) envisagerait pourtant de travailler dans ce secteur, un garçon sur quatre exprimant aussi de l’intérêt pour les professions liées aux soins.
 
Education à la différence
 
De quoi renverser bien des idées reçues sur les rôles traditionnellement réservés à chacun des deux sexes. Preuve aussi qu’on peut faire changer les choses en matière d’égalité des chances, dans des domaines où l’on est peu habitué à en parler. Car ouvrir les portes des crèches aux hommes, ce n’est pas seulement une question de parité, c’est aussi, pensent certains chercheurs, un pari positif sur l’évolution du partage des rôles en matière de tâches ménagères et d’éducation des enfants. En effet, pour que les petits garçons d’aujourd’hui, et les futurs papas de demain, aient envie de s’investir dans l’éducation de leurs enfants, ils ont évidemment besoin d’être confrontés à des modèles masculins d’un nouveau genre. Si la société a beaucoup à y gagner, l’enfant aussi du reste. Comme ne le cessent de le répéter un les spécialistes du développement, l’enfant à besoin autant de repères masculins que féminins pour se développer harmonieusement à tous les niveaux. Cependant, font remarquer d’autres chercheurs, il serait injuste et fort exigeant d’attendre d’un puériculteur qu’il se conforme uniquement à l’image qu’on attend de lui. Et certains d’attirer l’attention sur un risque potentiel : favoriser la présence des hommes dans les crèches pour ce qu’ils sont censés représenter ou apporter et non pour ce qu’ils sont réellement, pour leurs compétences et leur motivation. L’accroissement du nombre d’hommes dans le milieu de la petite enfance doit donc peut-être d’abord bénéficier… aux hommes eux-mêmes !
 
Crèches recherchent hommes pour s’occuper des enfants
 
En Flandre, toutes ces constations ont mené au lancement en 2003, d’une large campagne de recrutement à destination des jeunes hommes. Objectif affiché, changer les mentalités et proposer une image différente du cliché traditionnel associé à ce métier hyper féminisé. Pour l’occasion, plusieurs affiches ont même été créées, montrant des hommes avec des enfants occupés à des activités plus « masculines ». Résultat : l’impact médiatique a été immense. La campagne a permis de faire progresser le nombre d’étudiants masculins en puériculture de 6,5 à près de 20% ! Au Danemark, une campagne similaire plus ancienne a débouché sur des résultats tout aussi significatifs. Depuis lors, la proportion d’hommes travaillant dans l’accueil d’enfants y est presque de un sur quatre. D’autres obstacles restent cependant à franchir avant qu’on ne puisse parler d’une révolution des mœurs. L’aspect financier n’est pas le moindre. Pour attirer les hommes, le salaire devrait être revu à la hausse, disent les études, ainsi que la formation et la durée du travail (souvent un temps partiel). Ce qui aurait en plus comme effet de tirer le statut de toute la profession vers le haut. Côté image et acceptation, il y a également du pain sur la planche. Selon plusieurs travaux, la motivation et la satisfaction des hommes travaillant dans le milieu de l’enfance est indubitable. Mais ils ne sont pas toujours pris au sérieux ou sont souvent en butte à de la méfiance. De la part parents d’abord, qui, dans leur majorité, voient l’éducation des jeunes enfants comme une prérogative strictement féminine. De la part de leurs collègues aussi. Bien qu’appréciés, ils seraient parfois cantonnés dans certaines activités vues comme non essentielles ou typiquement masculines : jouer au foot avec les petits garçons, faire du bricolage, des réparations… Une image « virile » qui mettra sans doute du temps à s’effacer. 
 
Rudy, 32 ans : puériculteur
J’ai toujours été fasciné par les jeunes enfants et je m’en suis toujours beaucoup occupé quand j’étais jeune. Bien sûr je suis un homme, mais je ne vois pas pourquoi je m’occuperais moins bien des enfants qu’une femme. Quand j’ai du choisir une orientation après mes quatre années de secondaire, je me suis donc tout naturellement dirigé vers la puériculture. C’était un défi évidemment. Il fallait le vouloir aussi car ça n’a pas été facile tous les jours. J’ai par exemple perdu les trois quarts de mes amis durant mes études. Pour la plupart, c’était un boulot de femme. Ma famille aussi était mitigée. Pour eux, ça n’allait pas me mener loin comme métier. A l’école, en septembre, je me suis retrouvé avec trois autres garçons et 101 filles ! La aussi, il a fallu s’accrocher : au début, on s’est retrouvé sans toilettes pour garçons, sans vestiaires, le cours de gym ne prévoyait que de la danse… Mais petit à petit les choses ont fini par s’arranger. Au bout du compte, l’école et les professeurs se sont montrés assez compréhensifs. Aujourd’hui, il semble qu’il y ait plus de garçons. Mais lorsque je suis arrivé ici à la crèche, il y a dix ans, ils cherchaient en vain un homme depuis environ sept ou huit ans ! Comme la crèche fonctionne en cogestion entre le personnel et les parents, l’accueil a été très positif. C’est vrai qu’il y a toujours cette image de l’homme abuseur. Je me souviens d’un couple qui refusait d’inscrire sa petite fille parce qu’ils avaient appris qu’il y avait un homme dans l’équipe. Il a fallu discuter longtemps pour les convaincre. Il faut dire que c’était en pleine affaire Dutroux. Une fois aussi, une maman a refusé d’inscrire son enfant pour cette même raison, mais ce n’est arrivé qu’une fois. Jamais en tout cas, la crèche n’a remis ma présence en question, au contraire j’ai toujours été soutenu à fond par toute l’équipe. Je trouve qu’il y va de l’intérêt de l’enfant. Ici, nous essayons de recréer un microcosme familial. Cela fait partie du projet éducatif. On fonctionne comme à la maison. Or dans une famille, il y a maman ET papa. Pourquoi pas donc une figure masculine dans une crèche ? Je suis d’ailleurs convaincu que je peux apporter beaucoup de choses aux enfants. Quand j’en parle avec les parents, c’est ce qui ressort ici. Je réinstaure un peu la place du père, même si ce n’est pas exactement mon rôle. Dans l’éducation ou les jeux, l’homme apporte aussi quelque chose de différent. Par exemple, avec ma section, je joue au football dans la cour, ce que les mamans ont plus de mal à faire. A mon sens, ce serait important qu’il y ait plus d’hommes dans le milieu de la petite enfance. Ce n’est pas seulement un truc de femmes. Il est d’ailleurs grand temps que ça évolue. J’aime vraiment beaucoup ce que je fais. Le seul problème, c’est le salaire. C’est un salaire de femme, adapté comme deuxième salaire, mais pas comme salaire principal. Et ça, ça peut freiner certains hommes. Mon épouse travaille ici aussi comme puéricultrice, elle a plus d’ancienneté que moi, mais au total, on ne gagne pas grand-chose. 
 
Didier Dillen
Familles, mars 2006, pp.44-45
 
 


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