"Ma nounou ressemble à Chabal". Libération, 3 septembre 2008


 
[Discrimination implicite. Aucune loi n’interdit à des hommes d’exercer les métiers de la petite enfance. Dans les faits, cela leur est quasiment impossible.]
 
 
« Ma nounou ressemble à Chabal »
 
Baby-sitting. Les préjugés ont la peau dure pour les hommes qui choisissent ce métier.
Recueilli par Anne-Sophie Flavigny
 
C’est le dernier caprice des mères de famille américaine : le manny. Contraction de mâle et de nanny, le terme, popularisé par l’américaine Holly Peterson (1) signifie tout simplement homme nounou. Journaliste et mère de famille, elle a, comme Madonna ou Gwyneth Paltrow, troqué baby-sitter et autre jeune fille au pair contre un Mary Poppins bourré de testostérone. Phénomène annoncé en France pour cette rentrée ? Selon un sondage réalisé par Doctissimo, un magazine santé sur Internet, 71 % des Français interrogés se disent prêts à confier leur enfant à un homme. Belle ouverture d’esprit qui cache une tout autre réalité. Dans les crèches, la France ne compte que 0,2 % des auxiliaires de puériculture, 4 % d’éducateurs de jeunes enfants de sexe masculin. Et seulement 1 % de baby-sitters hommes. Schizophrènes les Français ? Selon Après la classe, organisme leader de la garde d’enfants, 11 % des postulants sont des hommes qui en grande majorité (88 %) sont recalés par les familles. « La médiatisation de la pédophilie masculine provoque des craintes chez les familles, surtout celles avec des enfants en bas âge, explique Alexandre Delcourt, chargé du recrutement d’Après la classe. Les familles sont plus exigeantes avec les garçons, d’ailleurs, étant donné qu’il est difficile de les caser je le suis moi-même lors du recrutement ». La bonne explication ?
 
Témoignages.
 
Les baby-sitters
 
Eric, 29 ans. « J’ai été baby-sitter pendant 11 ans. Pourtant, au départ, trouver une famille qui accepte de faire garder ses enfants par un homme n’a pas été facile. Ma propre mère m’a affirmé qu’elle n’aurait jamais confié ses enfants à un homme. Lors d’un forum emploi de l’ANPE, les responsables m’ont clairement dit ne prendre que des femmes. Je les ai alors menacés de contacter la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) car il me semblait que c’était tout bonnement de la discrimination. Puis j’ai été animateur dans une école. A la fin de mon CDD j’ai été remercié. On me reprochait d’être trop proche, physiquement, des enfants. Les gens assimilent les hommes qui s’occupent d’enfants à des pédophiles. Les idées reçues ont la vie dure. Pourtant, les hommes qui ont décidé de faire ce métier, le font par vocation. Alors que les femmes comptent sur leur soi-disant instinct maternel. La présence d’hommes est nécessaire pour la construction de l’enfant, au même titre que les femmes. Dans les couples divorcés, par exemple, les enfants sont souvent confiés à la mère. La figure paternelle manque à l’équilibre de l’enfant. Aujourd’hui, je suis assistant familial et je me rends compte que les délinquants sont souvent des personnes qui ont manqué de la figure autoritaire du père ».
 
Karim, 26 ans. « Pour financer mes études, j’ai voulu faire de la garde d’enfant. Trouver une famille qui accepte a été difficile. Je suis d’origine algérienne, cela ne facilite pas les choses. Les gens sont empoisonnés par les préjugés. Les femmes sont considérées plus douces, les hommes nonchalants ou pédophiles… Pour trouver un poste de garde d’enfants, j’ai envoyé près de 40 mails. Les réponses étaient rares. Par deux fois, une mère était intéressée, mais la phase « j’en parle à mon mari » ne m’a pas été favorable. En fait, c’est un peu comme pour les éoliennes, les familles sont pour mais pas chez eux. Finalement, je fais de l’aide aux devoirs ».
 
Les Parents
 
Catherine. Mère de Corentin, 8 ans, et Clément, 5 ans.« C’est moi qui ai demandé un homme pour garder nos enfants. En ce qui concerne la pédophilie, je n’ai pas plus de craintes envers un homme qu’une femme. La violence peut être féminine. De plus, nos enfants sont informés que certains gestes ne doivent pas être faits. Au final, je suis satisfaite de la dimension masculine qu’a apportée ce baby sitter. Bizarrement, on est plus exigeant avec un garçon. Pourtant, un homme qui choisi ce métier ne le fait pas par dépit. Il doit braver les préjugés, les obstacles. Cela nécessite une grande motivation. »
 
Franck. Le père. « Quand le baby sitter est arrivé : 2 mètres de haut, 140 kilos, cheveux longs, barbe. J’ai été surpris. C’était l’ogre mangeur d’enfants. J’étais sceptique. J’ai été militaire pendant 15 ans. Pour moi, il s’était trompé de secteur d’activité. Mais, très vite, je l’ai trouvé étonnant. D’accord, il délaissait un peu le rangement, mais il avait plein de projets pour les enfants. Il ressemblait à Sébastien Chabal alors ça faisait rire. Dans mon entourage j’avais du mal à dire « nounou », je disais, en plaisantant, « garde du corps ». En tant que père j’étais un peu jaloux de voir cet homme s’occuper de mes enfants. Et les enfants ne comprenaient pas pourquoi si lui s’occupait d’eux, pourquoi moi je ne le faisais pas de la même manière. Il est certain qu’un homme donne moins de tendresse qu’une femme. Une fois, j’ai découvert mon plus jeune fils endormi dans les bras de son baby-sitter. Lui n’osait pas bouger. L’image m’a marqué. »
 
(1). Auteur de Le nounou, aux éditions Lattès.
 
Libération, mercredi 3 septembre 2008
 
 


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