Le petit garçon (extrait). Philippe Labro. 1990


Il sortit de son bureau et appela « les enfants » pour tenir un discours d’où il ressortait que nous avions ce qu’il appelait des droits, mais aussi des devoirs, et que les uns ne devaient, en aucune circonstance, prendre le pas sur les autres. Droits et devoirs. Devoirs et droits.
 
- Ces mots doivent commencer à vouloir dire quelque chose aux plus âgés d’entre vous, dit-il en s’adressant à Antoine et à Juliette, les aînés, et si ça n’est pas le cas, alors c’est à désespérer de vous. Et pour vous autres, les plus petits, même si cela ne signifie rien, essayez de vous en souvenir ainsi : vous avez deux poumons dans votre poitrine, qui permettent de respirer. C’est une loi de la nature. Vous aurez du mal à respirer si vous ne vous servez que d’un seul poumon. Eh bien, vous devez partager vos droits et vos devoirs dans une mesure égale. Vous avez le droit de vous amuser, mais vous avez le devoir de respecter le travail et le silence des autres.
 
Il se tenait debout au milieu de ses sept enfants, qu’il avait invités à s’asseoir sur le carreau du grand hall de l’entrée. Les enfants levaient la tête vers cet homme aux cheveux blancs, aux lunettes d’écaille, dont les verres épais masquaient le gris-vert et bleu de ses yeux anormalement doux mais que les enfants croyaient sévères, cet homme au mètre quatre-vingts athlétique et harmonieux. Les enfants relevaient la tête vers la statue de rigueur, tentant de comprendre la démonstration. Pour l’illustrer, il porta sa main droite sur le poumon droit, la gauche sur le poumon gauche. Puis il détacha la main droite en disant « vos droits », la plaqua à nouveau sur sa poitrine et fit le même geste avec la main gauche, côté cœur, en disant « vos devoirs ». Après quoi, il fit retomber les bras le long de son corps et prit une longue inspiration puis une aussi ample expiration, pour indiquer que ses deux poumons fonctionnaient à merveille, maintenant qu’il avait donné la même chance aux devoirs qu’aux droits, au poumon gauche qu’au poumon droit.
 
Nous regardions, vaguement coupables, les fesses refroidies par le carreau du hall, intrigués par la leçon et attentifs au sérieux que lui avait donné mon père, comme il faisait pour tant de choses.
 
Le petit garçon. Philippe Labro. Gallimard, 1990, p. 38 (extrait)
 


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