A propos de "Le musée de l’homme", de David Abiker (2005) / Patrick Guillot


 
A propos de Le musée de l’homme, de David Abiker.
 
Le personnage-narrateur est un trentenaire contemporain, marié et père de deux petites filles. Un type sympa, plein de bonne volonté, « moderne », qui a entendu la leçon du mouvement des femmes, et a décidé d’en tenir compte. Il raconte sa vie quotidienne, appliquée mais incertaine, dans la société féminocentrique, où il semble errer sans la bien comprendre. Mais le récit n’est pas sombre : l’auteur a choisi le mode humoristique et ironique – on le sent dès la lecture du titre et du sous-titre – et le manie bien. Le propos est donc plutôt réjouissant et décapant - et trouve beaucoup de force dans un certain nombre de formules qui percutent.
 
Dans son couple, ce mari-père joue impeccablement le jeu du partage des tâches et du respect de l’autre : il s’occupe des enfants et fait la cuisine avec compétence ; il est attentif au point de vue de sa femme et accepte facilement qu’elle gagne plus que lui. Il n’a pas de nostalgie des rôles anciens, qu’il n’a sans doute connu que sur leur fin. Il passe parfois la porte d’un salon d’esthétique pour hommes. Bref, il répond parfaitement, semble-t-il, aux attentes du féminisme du vingtième siècle. Pourtant, en tant qu’homme, il se sent comme étranger à l’univers qui l’entoure :
Les femmes avaient gagné la bataille des valeurs. La société carburait à la paix, à l’amour, à l’écoute, à la douceur, à toutes ces bonnes choses qui font de nos contrées des oasis où l’on se porte mieux qu’ailleurs. (p.18)
 Lui se bat autant sur le front de sa famille que sur celui du travail, mais la société n’en a cure. Elle ne reconnaît pas ceux de son sexe, et promeut désormais une vision du monde d’où il est exclu : 
Du reste, on n’avait pas le choix : elles étaient partout, plus intelligentes, plus actives, plus résistantes, plus entreprenantes. Là où les droits étaient piétinés, on les trouvait qui défendaient le veuf, l’orpheline et la victime : ministres, responsables associatives, leadeuses en tout genre. Les années 80 les avaient vues réussir « l’amalgame de l’autorité et du charme(1) ». Le XXIe siècle serait celui de leur triomphe avec un taux prévisionnels de chômage masculin deux fois supérieur au leur  » (p.19) 
Une société totalitaire, en quelque sorte, de type orwellien ou huxleyen, mais réalisée : son livre de chevet ne s’intitule-t-il pas Ce qu’il faut penser auujourd’hui ? Comme dans toute société de ce type à l’époque technologique, c’est la télé qui joue un rôle central. D’où sa réaction aux reality show : 
A l’époque romaine, on mettait les esclaves dans l’arène et on amusait le peuple qui matait les lions bouffer les Chrétiens en mangeant du pop-corn à l’ambroisie. Aujourd’hui c’est les mères de famille de la télé qui entrent dans l’arène. Les caméras font office de fauves et c’est la psy qui baisse ou qui lève le pouce. (p.137)
 
« La télé est d’ailleurs devenue leur empire. Les femmes font la loi à la télé parce qu’elles font la loi dans les supermarchés. Résultat : il n’y a plus de programme pour moi. Mais plutôt des programmes qui se déroulent dans les rayons des supermarchés où évoluent des kyrielles de Micheline accompagnées d’enfants morveux. (…) Tous les soirs, il y a sur un plateau, un homme sommé de changer d’attitude et de conduire sur le chemin du bonheur une famille essentiellement composée de Micheline et d’Isabelle » (p.139)
Un homme sommé de changer d’attitude - il n’y a plus de programme pour moi : voilà des formules brèves, mais qui disent des choses profondes. Cette absence de « programme » pour les hommes, d’ailleurs, n’est pas spécifique à la télé, c’est la caractéristique d’un univers sans ambition, sans projet et sans héros.
 
Excellente aussi cette définition du nouveau stéréotype masculin, le « métrosexuel » dans lequel il ne se reconnaît pas – mais dont il n’est pas interdit de penser qu’il pourrait y tomber à son tour :
Au début, je croyais qu’un métrosexuel, c’était un type qui avait un sexe suffisamment gros pour le montrer dans le RER derrière un imperméable de l’inspecteur gadget.
Pas du tout.
Un métrosexuel est un type qui va au salon d’esthétique en plein samedi après-midi parce que ni sa femme ni ses filles n’ont envie de l’emmener voir un match de foot féminin.
Excellente aussi – mais surtout touchante et remuante – cette évocation de la part d’identité qui résiste en lui, et qui trouve un point de repère inattendu… le BHV. 
Le bricolage c’est d’ailleurs la dernière activité qui me distingue de ma femme. (p.39)
 
Il suffit d’aller au BHV ou chez Monsieur Bricolage pour comprendre qu’on ne parcourt pas ces magasins de la même manière selon qu’on est un homme ou une femme. Il n’y a qu’un homme qui puisse passer une demi-heure dans la contemplation d’une vis platinée. Il n’y a qu’un homme pour faire copain-copain avec le type de la découpe. Il n’y a qu’un homme pour mater la video de la colle One Second comme si c’était le dernier épisode de 24 Heures. (p.41)
La quatrième de couverture présente l’ouvrage, toujours avec humour, comme le livre noir de la société maternante. Certes, nombre de problèmes n’y sont pas abordés, mais c’est assez juste : des femmes manipulées, flattées dans leur narcissisme et leur appétit de consommation, persuadées d’être appelées à rééduquer l’autre moitié de l’humanité - des hommes culpabilisés, brisés dans leur capacités d’initiative, s’enfouissant à leur tour dans l’univers des marchandises et des artifices pour oublier leur malaise.
 
Big mother, fausse et mauvaise mère - pour les deux sexes.
 
(1) Michel Sardou, chanteur de variété
 

Patrick Guillot

Le musée de l’homme - le fabuleux déclin de l’Empire masculin. David Abiker. Editions Michalon, 2005 



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